"Une canaille et demie", fresque en noir sur les Etats-Unis

Avec Une canaille et demie, Iain Levison poursuit sa fresque en noir sur les Etats-Unis d'Amérique, peinture entamée avec son premier roman Un petit boulot (chez Liana Levi également).

A travers le portrait de trois personnages, il s'en prend à l'un des fondamentaux de l'Amérique : l'éthique protestante, qui - pour le dire vite - proclame que chaque individu sur terre se voit attribuer la place qu'il mérite. Il retourne ici comme un gant le « Aide-toi, le Ciel t'aidera » ou pour le dire d'une manière plus moderne le « Just do it ! ». 

Elias White, professeur d'histoire, Dixon ex-taulard et Denise Lupo ont pour seuls points commun de ne pas avoir la vie qu'ils mériteraient et de vivre tous trois dans le pays qui proclame le contraire. Si les deux derniers ont été victimes d'injustice à des degrés divers, le premier, professeur d'histoire dans une Université médiocre peuplée d'étudiants tout aussi médiocres, est un imposteur, fils d'un imposteur terne et sans envergure, obnubilé par la réussite et le désir de reconnaissance, pour ne pas dire la gloire. « C'était un des professeurs les plus populaires du campus. Il était beau, jeune [...], charismatique et drôle. Un de ses principes consistait à ne recaler personne qui ait fait le plus petit effort, et un autre tacite et cependant remarqué, était de donner les meilleures notes aux jolies filles du premier rang qui portaient une jupe. Ironie du sort, White détestait enseigner. » Parce que selon lui, « l'étude et le savoir n'entrent guère en ligne de compte une fois assimilés les principes de base. [...]. L'astuce n'est pas d'être la personne la plus intelligente [...]. L'astuce c'est de se faire remarquer. », il espère la gloire grâce à un article provocateur sur le nazisme. 

Dixon, lui, a été condamné par erreur, coupable de trop ressembler à l'auteur du braquage pour lequel il a pris cinq années de prison. Les aveux du vrai coupable ne changeront rien : la justice - l'injustice institutionnelle d'Etat - refusant de reconnaître qu'elle ait pu commettrre une erreur. Dans la suite de sa vie, Dixon va s'acharner à ressembler au portrait que l'Amérique a officiellement dressé de lui : un individu dangereux, un braqueur armé. «  Dixon avait une mauvaise image de lui-même, mais celle qu'il avait de l'humanité en général était encore pire. Il se prenait pour une merde, et pourtant il était l'un des êtres les plus nobles qu'il ait connus ». Il est tout ce que White n'est pas.

Denise Lupo, enfin, brillante agent du FBI, n'a jamais pu accèder au poste qu'elle méritait parce qu'elle est une femme dans un monde où il est important avant toute autre chose d'être une personne de race blanche et de posséder l'attribut essentiel de la réussite : un pénis. 

Il était donc impossible que ces trois-là se rencontrent un jour. Et pourtant, leurs chemins vont se croiser suite à l'hold-up commis par Dixon. Le mieux "armé" pour se sortir de l'aventure qui va s'en suivre n'est pas forcémént celui que l'on croit. 

Le mythe d'une Amérique juste où la vie sourit au meilleur, au plus intelligent est foulé aux pieds. Le FBI, police adulée, n'en sort pas grandi, et encore moins la justice ou l'université, le système éducatif américain. Levison s'en prend en fait à tous les « produits de propagande » que l'Amérique exporte avec abondance pour tenter de redorer un blason bien terni à l'étranger. On supposera que Levison écrit ses textes avec en tête l'image que l'Amérique donne d'elle-même aux yeux d'observateurs extérieurs. Ecrire sur les Etats-Unis, à partir des Etats-Unis en sachant que le monde a les yeux braqués sur vous, comme pour se justifier d'être Américain, prouver que l'on peut-être Américain sans être dupe et aveugle sur son pays, ses compatriotes et les règles qui régissent leurs vies, malgré les appels à la bien pratique "Union sacrée" dont le pouvoir se sert sans vergogne.

On admirera l'efficacité de l'écriture de Levison qui dès ce deuxième roman peut être considéré comme un maître du roman noir contemporain. Ce roman ravira les amateurs du genre et les autres. L'intrigue et les personnages ne sont pas simples prétextes à décrire une Amérique immorale où seuls les arrivistes et les médiocres réussissent. Levison sait rendre vivants ses « héros » et il suffit de lire toute la partie consacrée à la cavale de Dixon pour être persuadé que Levison prend beaucoup de plaisir à nous entraîner dans l'action qu'il mène avec fougue. Il demeure quelques petites ficelles romanesques un peu faciles, mais que l'on excuse et oublie vite. Levison sait prendre son lecteur à contrepied et se jouer des règles du thriller dans des scènes de faux rebondissement que l'on ne peut pas s'empêcher de lire comme autant de pieds-de-nez aux scénarios hollywoodiens édifiants où tout est vraiment bien, qui finit vraiment bien.


Philippe Menestret

Iain Levison, Une canaille et demie, traduit de l'anglais (USA) par Franchita Gonzalez Batlle, Liana Levi, septembre 2006,
240 pages, 18 € 


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