"Into the wild", le road movie d'un jeune homme face à la nature, épopée mythique

Comment un jeune américain intelligent, issu d'une famille très aisée et à qui tout est promis, décide de tout abandonner en 1990 pour vivre un road movie qui se terminera tragiquement dans les forêts de l'Alaska.

Il est rare qu’un film transcende un livre. Sean Penn, dans son adaptation d'Into the Wild, a su donner une envergure mythique au périple de Chris McCandless. Into the Wild par Sean Penn, c’est un peu le rêve de l’aventure américaine, de la conquête de l’Ouest tel que Sean Penn aurait sans doute voulu qu’elle se produise : vivre en osmose avec la nature monumentale et ses autochtones, respecter les deux... 

Le contraire ou presque de ce que « l’enquête » de Jon Krakauer conclut. Pour lui, l’aventure de Chris McCandless est avant tout une aventure individuelle. Il n’est pas le premier « doux dingue » à s’être lancé à l’assaut des éléments, que ceux-ci se nomment désert ou montagnes. Jon Krakauer, lui-même alpiniste, a failli laisser sa peau en Alaska en relevant le défi fou qu’il s’était lancé à lui-même. Il essaie de comprendre intimement les motivations de McCandless en analysant ce qui dix-huit ans plus tôt l’avait poussé à tenter le Diable. « Je soupçonne que nous avions la même passion, la même insouciance devant le danger, la même agitation dans l’âme ».

Une victime de la littérature ?

L’un des aspects les plus intéressants du livre réside dans le fait que l’auteur a menée une véritable enquête qui l’a conduit à rencontrer les personnes qui ont croisé la route de Chris. Il a cherché à comprendre pourquoi un jeune homme qui est destiné à rejoindre les rangs des élites se lancent sur les routes tel un vagabond et devient le compagnon des déclassés.

McCandless était un lecteur, fervent admirateur de London, de Thoreau, et de Tolstoï. Un cocktail explosif dont l’absorption mal digérée peut facilement vous mener à enfiler une peau de bête pour aller chasser l’ours dans les forêts neigeuses du cercle polaire. J’ironise. Cependant, il est certain que la lecture de Walden ou la vie dans les bois, la morale tolstoïenne et l’esprit d’aventure de London ne peuvent que vous faire pousser des ailes quand on est comme McCandless un être épris d’absolu et que l’hypocrisie des adultes a détruit les fondements de votre vie.

Certes, dès son plus jeune âge, Chris se révèle un enfant exceptionnel et surdoué, dont les réparties et les actions étonnent chez un enfant. Mais, c’est certainement la découverte de la double vie de son père qui a désillusionné le jeune Chris et réduit à néant les valeurs défendues par ses parents. Son père avait été marié une première fois. Il avait divorcé et s’était remarié avec celle qui devait devenir la mère de notre héros. Mais, il avait renoué avec sa première femme et entretenu une nouvelle relation avec elle alors que son second mariage était déjà consommé. De cet adultère était né un enfant que le père de Chris avait reconnu.

On peut comprendre facilement qu’un esprit pur et candide, aimé et aimant puisse recevoir cette révélation avec beaucoup de violence, qu’il en soit en quelque sorte terrassé. Il a vu ses parents travailler comme des forçats pendant des années, la main dans la main, malgré les disputes, et cette révélation réduit à néant le tableau joué par ses géniteurs. 

Une aventure puritaine ?

L’adolescence c’est la révélation que les adultes peuvent mentir, que leurs mots ne sont pas parole d’Evangile. La crise d’adolescence, c’est rejeter le monde des adultes parce que l’on croit qu’il n’est bâti que sur le mensonge. La crise d’adolescence est en quelque sorte une crise de puritanisme. La corruption ne m’atteindra pas et pour y parvenir, je rejette ses deux agents les plus sournois, les plus diaboliques : l’argent et le sexe. Avant de se lancer dans son aventure, McCandless se dépouillera des 24 000 dollars d’économie qu’il possède au profit d’une association humanitaire. On le verra refuser les avances d’une jeune fille tombée amoureuse de lui et il est très probable que c’est vierge qu’il mourra.

Sur les pas de McCandless, Krakauer nous donne à voir une Amérique comme seule peut l’être l’Amérique. C’est un espace immense, infini où subsistent encore de lieux et des êtres que la standardisation, la normalisation, la mise au pas de la modernité n’ont pas saccagé. Des êtres et des lieux encore libres, que le réel n’a pas encore soumis. Pour plusieurs d’entre eux, la rencontre avec Chris aura été un déclencheur, beaucoup témoignent de la bonté qui irradiait du jeune homme, de son attention envers les autres. McCandless a parcouru les Etats-Unis d’Atlanta à Houston de Grand Junction à Carthage, en passant par le Mexique, séjournant sur la côte ouest pour finir par traverser le Canada et atteindre le but de son voyage : l’Alaska à quelques kilomètres du cercle polaire.

Il mourra de faim dans la forêt et l’on retrouvera son cadavre en avril 1992. Cette fin tragique, il aurait pu l’éviter. Il a joué de malchance parce qu’il est évident que McCandless était tout sauf suicidaire.

Sa mort l’aura transformé en personnage romanesque. Il est allé jusqu’au bout de son rêve, égoïstement d’une certaine manière puisqu’il a délaissé tous ceux pour qui il comptait dans l’aventure. Mais, il est allé jusqu’au bout.

Philippe Menestret


Jon Krakauer, Into the Wild, traduit de l'anglais par Christian Molinier, 10/18, novembre 2008, 288 pages, 7,40 € 

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