L'Univers monstrueux de la grande distribution vu sous l'angle de "La Caissière"

Ce roman ne sort pas à point nommé, car il crée un amalgame. Le sujet de l' "hôtesse de caisse" semble être devenu à la mode ! Cet ouvrage risque donc la confusion avec un autre texte, celui du blog-de-la-caissière-docteur-es-lettres-mais-la-culture-ça-nourrit-pas-son-homme qui vient d'être édité. Non que je veuille critiquer ce dernier, que je n'ai pas lu, cependant il me semble que cette confusion ne rend pas justice à ce premier roman.

Cette histoire qui a pour protagoniste une caissière n'est nullement autobiographique. Ce serait donc une resucée du fameux Bonheur des Dames d'Émile Zola ? Il n'y a pas un si grande distance entre ces deux ouvrages qui abordent l'univers monstrueux de la grande distribution, tout en ménageant de belles histoires d'amour. A ceci près que l'objectif de Moret – Courtel n'est pas de démontrer au lecteur la toute-puissance de la nature sur l'être humain, de plus, le livre a une facette fantastique des plus inattendues dans ce genre d'intrigue.

La vie d'une « hôtesse de caisse »

Il y a bien sûr une prédominance de l'aspect réaliste dans ce roman. La protagoniste est une humble caissière, et son point de vue nous permet de glisser de l'autre côté de ce curieux décor, la grande distribution. C'est un monde difficile où l'on doit se lever avant l'aube car l'on est tributaire des transports en commun, et arriver une heure avant son service, horaire du bus oblige... heure pas payée bien sûr, et pis quoi encore ?

Le point de vue de la caissière est cependant très intéressant : il est le regard neutre (avec le BAM d'usage : Bonjour Au revoir Merci ) devant lequel défile sans se méfier un chapelet d'échantillons humain, paradigmes représentatifs de la société humaine qui va faire ses courses. Dans des saynettes truculentes, nous avons : la cliente odieuse, la petite fille qui pleurniche, l'obèse qui se bourre de bonbons....

De plus, la caissière évolue dans un autre genre de microcosme : un petit village de campagne, où l'on voit défiler la commère, le mari impuissant et médisant, le vieux garçon cat killer... La « France d'en bas » est passée à la loupe, de façon parfois un peu caricaturale, certes, mais efficace.

Le sujet permet à l'auteur d'opérer une attaque en règle de la société de consommation, qui met de la javel sur la nourriture invendue pour ne pas faire baisser les achats, qui renvoie ses employés dès que leur rendement baisse, qui fait croire au client qu'il est le roi alors que tout est fait pour lui faire acheter l'inutile, avaler des graisses saturées et des produits chimiques...

L'aspect le plus intéressant du roman est cependant sa dimension fantastique.

Les rêves d'une « hôtesse de caisse »

L'hypermarché, si l'on y pense, est un temple démesuré voué à la consommation, où il n'y a rien d'humain. Des pères Noëls grotesques s'y trémoussent de façon obscène lors des fêtes, les caissières, revêtues des couleurs de l'entreprise, doivent avoir le moins de rapport personnel possible avec le client, surveillées par l'œil de Big Brother.

Le chaland devient un monstre. Enfin, cela ressemblerait plutôt à des myriades de créatures qui défilent sous le regard sceptique de Michelle. Il y a l'obèse entourée de ses rejetons qui se nourrit de « gélatine de porc », la petite fille dont le nez devient bleu tant elle pleurniche. Et puis cette figure étonnante, cette ogresse au manteau fait de peaux de chats cousues main. C'est bien sûr le temple qui fabrique ces monstres, les nourrissants de graisses saturées à bas prix. Ceux qui ont gardé des proportions raisonnables ne sont que des monstres en devenir...

Le fantastique prend la nuit une dimension onirique. Le récit est entrecoupé par les rêves de la protagoniste qui prennent parfois la forme de petits poèmes en prose. L'océan tumultueux lie les visions désordonnées crées par les songes. Une mystérieuse silhouette prend forme, fil directeur de tout le roman. Les choses se compliquent quand la clef des songes permet en fait d'ouvrir les portes de la réalité....

L'enchantement prend forme petit à petit au cours du roman, le rêve initialement en noir et blanc se colorise. On commence dans la bruine du petit matin, l'héroïne est habillée de gris, et entourée de personnes anonymes, dans une existence qui semble plombée. Peu à peu, des visages se posent sur ces gens qui deviennent des alliés, Michelle crée des liens inattendus entre eux, trouve des portes inespérées et met de la couleur dans sa vie ainsi que sur ses vêtements. Ce livre à la construction impeccable débouche sur une gorgée d'optimisme, fait assez rare dans la littérature actuelle pour être remarqué.

Michelle n'est pas une simple caissière. Certes, elle n'a pas de DEA, mais c'est une femme qui avait une honnête situation qui a été poussée dans l'inconfort par le décès de son époux. En effet, l'auteur aurait-elle pu se projeter dans un personnage d'origine plus modeste ? Il est fort à parier que cette oeuvre est le fruit des longues rêveries que l'on peut tous avoir durant l'attente interminable devant les caisses, avec la caissière comme point de mire... Un style sobre, point d'épanchement et d'autosatisfaction devant des états d'âme interminables, pas de récit sordide d'adultère... Aucun doute, c'est une rêverie vraiment très agréable et revigorante dans une file de supermarché.

Elsa Bénéjean


Catherine Moret-Courtel, La Caissière, Belfond, août 2008, 192 pages, 17 € 

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