"Anges" roman dérangeant de Julie Grelley

ANGESAnges est le premier roman de Julie Grelley, scénariste. Un premier roman dont il est difficile de parler tant le fond et la forme créent une sensation profonde de malaise. Un livre en tout cas qui fera parler mais pour quelles raisons, cela reste encore à déterminer.

J’ai le cœur au bord des lèvres

Pour comprendre le malaise que j’ai pu ressentir lors de la lecture de ce roman, il faut commencer non par le fond mais par la forme, quoique l’une n’ait rien à envier à l’autre. Le récit se fait à la fois à la première et à la troisième personne, le « je » et Colline, l’héroïne si elle mérite ce titre, se croisant au sein d’une même phrase. Colline n’est pas seule. Il y a aussi elle, avant, Lynn, jeune mannequin de 14 ans, face of the year 1988, avant que toutes ses illusions ne s’effondrent, et Michelle, elle, juste un moyen pour attirer David. A force de passer de l’une à l’autre, le tournis s’installe mais on reste encore bien accroché. Les phrases hachées et les chapitres courts s’enchaînent sur près de 200 pages. Un style qui traduit la maladie mentale dont elle souffre et qui la pousse au pire, à ce que l’on n’ose imaginer en ouvrant un livre.

À la recherche d’un ange, saint Michel priez pour eux

 

La narratrice est à la recherche d’un ange, un être pur de tout désir physique qui serait capable d’aimer, de veiller sur la narratrice. Cet ange, comme les castra, doit être jeune, moins de 12 ans, et ne doit plus avoir aucun désir sexuel. Il sera castré par ses soins pour le purifier. Il n’y en aura pas un mais plusieurs. Enlevés, drogués, châtrés avec des pinces coupantes, ils décèdent tous, victime d’une hémorragie ou s’étouffant dans leur propre vomi. Jusqu’au jour où Colline est arrêtée : sa sœur la découvre masturbant un jeune garçon (la castration est plus facile) sans que les instruments de son entreprise ne soient découverts. Délinquante sexuelle, elle sort de prison au bout de trois ans, s’installe dans un village de Normandie, trouve un travail dans une boutique de bricolage, se rend chez son thérapeute, son contrôleur judiciaire… Une vie réglée jusqu’à l’arrivée de David, jeune garçon qui l’émeut plus que les mots ne pourraient le dire. Une révélation : il est son ange. Le plan est établi, chaque détail est pensé, de l’enlèvement à la table à repasser, fixée dans du béton, devant servir à l’opération. Sans oublier le fer à repasser devant cautériser la plaie. J’en ai froid dans le dos. Une question subsiste : quel a été l’itinéraire de cette criminelle hors norme ?

Itinéraire d’un monstre

Victime de la mode, de son propre physique, la narratrice dévoile son passé au fur et à mesure de ses crimes. Elle est celle d’avant : Lynn. Jeune miss Calvados et miss Lolita, son physique parfait fait d’elle la coqueluche des podiums et des créateurs de mode à l’âge de quatorze ans. Blonde, élancée, les yeux bleus, l’attitude parfaite, Lynn, Colline en réalité, est une jeune beauté irréprochable plongée dans un monde superficiel où elle perd toute raison. Portée aux nues, elle finit par fuir le jour où de visage de l’année, elle se voit comme pute de l’année. Lynn est sans conteste la personnalité la plus touchante de ce roman : par petites touches, on découvre cette jeune fille plongée dans un monde qui finit par la détruire.

Il y a celle d’après : Colline, la narratrice, le monstre. Celle qui a voulu détruire à tout prix Lynn : se cassant volontairement le nez, se défigurant, atteignant les 110 kilos à grand renfort de sachets hyper-protéinés. La bête qui est désespérément à la recherche de la belle, du beau et de l’innocent en l’occurrence. Une version moderne et plus dérangeante de la Belle et la Bête, bien loin du classique revu par Walt Disney.

Il y a Michelle aussi, personnage purement fictif, destinée à séduire et attirer le jeune David. Elle représente ce que Colline aurait dû être si elle avait grandi normalement, loin de la folie des podiums.

Plusieurs adjectifs peuvent donc coller à ce roman, mais c'est dérangeant qui me vient en premier à l’esprit. L’ouvrir est comme la boîte de Pandore. Angoissant est le second car on ne sait si l’on doit abandonner la lecture de ce livre, quelque peu écœurant, ou si l’on doit le lire jusqu’à la lie. 

 


 Julie Lecanu

 

Julie Grelley,  Anges, Albin Michel, janvier 2010, 186 pages,15 €


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