"Les Eglises de Paris" de Joris-Karl Huysmans

UN TOUT LITTERAIRE DES EGLISES DE PARIS

Réunissant cinq articles ou fragments sur des églises parisiennes qui jouèrent un rôle dans la vie de Huysmans, Patrice Locmant nous offre un parcours dans la vie religieuse de cet auteur qui fut naturaliste, décadent puis converti.

Il est utile de dire pour commencer que ce livre est le fruit de la volonté du présentateur plus que de l’auteur lui-même : Patrice Locmant a réuni aux trois textes qui firent le volume posthume intitulé Trois églises et trois primitifs, deux autres extraits provenant de La Bièvre et Saint-Séverin. Ceci étant dit, ceux qui possèderaient déjà ces deux volumes ne perdraient rien à l’acquisition de ce dernier car il est bien présenté et copieusement annoté, avec un plus pour ces notes qui sont toutes très érudites sans jamais être cuistres ou outrecuidantes comme trop souvent aujourd’hui dans les éditions qui se veulent sérieuses.

Ce qui justifie aux yeux de Patrice Locmant ce choix est l’unité de traitement des églises parisiennes chez Huysmans en sa fin de vie, et surtout l’approche originale qu’elle offre de l’homme et de l’œuvre. Écrite dans cette langue riche, avec ces tendresses d’écriture et ses coups de griffes vachards, ces portraits d’églises montrent un Huysmans religieux qui n’hésite pas à fustiger les fidèles et le clergé, tout autant que les incroyants… peut-être même a-t-il la dent plus dure pour ceux qui se disent chrétiens et le sont si peu à ses yeux que pour les autres qui ont l’excuse de ne pas croire : en témoigne son peu d’agressivité contre les déprédations des révolutionnaires ou des communards, et ses attaques au vitriol contre un clergé corrompu et des fidèles peu fiables. On sent dans ces pages un Huysmans campé dans une chrétienté solide, d’autant plus solide qu’il est capable de se remettre en cause.

Saint-Julien-le-Pauvre est vue avec tendresse comme la bonne aïeule des églises parisiennes, c’est une bonne vieille église qui a été abandonnée à une autre obédience, elle a subi alors tant de modifications que notre auteur se plaint de l’abandon à la fois architectural et religieux où elle se trouve. Saint-Séverin, église fermement installée dans son quartier, où Huysmans fut baptisé, est une curieuse paroisse dont l’histoire commence à l’intéresser assez pour laisser poindre ce qu’il fera plus tard avec les trois églises suivantes. Notre-Dame de Paris semblait une sorte de point central incontournable, mais ce n’est pas là que se rencontrent les meilleures pages, il y rode comme une ombre hugolienne. C’est avec Saint-Merry que nous rencontrons un splendide texte huysmanien : richesse du vocabulaire, érudition de chartiste, attaque contre les modernistes trop sulpiciens, petites pointes acides contre les religieux de peu de foi, vie des hommes et des femmes – marchants, rois comme saintes et prostituées –, clins d’œil aux édifices religieux voisins, présentation de la vie du quartier… il y a là quelques-unes des pages d’un Huysmans médiévalisant très inspiré. Cette verve se retrouve encore dans les pages de Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse malheureuse des rois de France. Ces églises semblent comme personnifiées et la démarche huysmanienne aurait pu le conduire un jour à rassembler les trois derniers textes et d’autres peut-être, ce qui semble justifier la démarche anthologique de Patrice Locmant. Nous lui reprocherons peut-être de n’avoir pas plutôt choisi le titre de « Paroisses de Paris » tant ces églises existent comme point central d’une vie de quartier à traverssles époques.

On y trouve aussi, comme en filigrane, la grande misère des bâtiments religieux de France, que l’Histoire a fortement marqué de son sceau. Mais ce que Huysmans constate avant tout c’est la furie destructrice de l’art roman et gothique par un art classique ou baroque qui est loin de lui plaire… et son avis est plus sévère encore sur les artistes religieux de son siècle qui ont souvent, à ses yeux, fait plus de mal que les révolutions et les sacrifices aux modes de chaque époque.

De ce jeu de massacre des architectures du temps passé, on voit des paroisses réellement sinistrées comme Saint-Julien-le-Pauvre ou Saint-Germain-l’Auxerrois; et le lecteur d’aujourd’hui y constate un plus grand respect de nos jours de cette notion de patrimoine pourtant créée en France au milieu du XIXe. D’ailleurs lorsqu’il rappelle les efforts de Victor Hugo ou le travail de Viollet-le-Duc, c’est surtout pour mieux pointer du doigt tous ceux qui œuvrèrent dans le sens contraire. C’est là que le travail du critique se fait le mieux sentir par l’ensemble des notes qui éclaire le lecteur d’aujourd’hui dans la jungle des gloires oubliées d’hier en nous apportant en note des informations complètes. Plus de cent cinquante notes donnent le minimum nécessaire pour comprendre le texte et l’éclairer de références érudites, n’hésitant pas à pointer les erreurs du texte huysmanien, ou ses partialités.

Ce qui rend cette anthologie si intéressante est justement cette juxtaposition de textes de la fin de la vie de Huysmans et la communauté de lignes de force qui les structurent, l’apparat critique justifie alors cette réunion. On regrette juste que les notes soient en fin de section et non en bas de page… plus pratique à mettre en page mais moins pratique à lire.

Quelques illustrations viennent compléter un élégant volume à rabats comme les offrent les Éditions de Paris. Un volume à s’offrir avant tout pour sa propre dilection, mais qui peut aussi faire un excellent cadeau pour un amateur d’Huysmans, d’une langue française de haute tenue ou de la ville de Paris et de certaines de ces paroisses.

On serait tenté d’en prescrire la lecture aux personnes atteintes de danbrownisme aigü, maladie dégénérescente qui atteint ceux qui sont en crise religieuse et obsédés par le contenu ésotérique des églises du vieux continent et les théories du grand complot ; une telle lecture à dose régulière, en auto-médication ou ordonnance curative, devrait permettre une rémission raisonnable.

Stéphane Le Couëdic


Joris-Karl Huysmans, Les Eglises de Paris, édition de Patrice Locmant, Les Editions de Paris - Max Chateil, août 2005, 15 € 

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