Il y avait 1984, il y aura désormais Serenitas. Un thriller politico-fictionnel qui se déroule dans un Paris dénaturé, une ville déchirée par les restes de la Grande Crise et les complexes immobiliers. C’est un peu ce qui risque d’arriver une fois que le Pentagone du quartier Balard sera achevé, ainsi que l’immonde tour de la Porte de Versailles et les quelques horreurs qui sont pressenties à La Défense, dans le XIIIe arrondissement et au cœur des Halles. Nicholson appelle cela des zones d’affaires, sorte de base-vie comme l’on en construit dans les pays émergents pour planquer les expatriés venus bétonner le pays, sous la protection de milices privées. Et cerise sur le gâteau, Serenitas, la première-ville protégée au monde, construite à trente kilomètres de Paris, régie par ses propres lois, sa propre police, ses propres administrations… avec le concours complice d’un État en faillite qui vend les trésors de la couronne.

Mais comme cela ne suffit pas, il va falloir vendre plus : une partie du Var, les îles d’Hyères notamment, seraient en passe d’être cédées à un conglomérat chinois qui se fait fort de créer le premier pays privé. Après tout, pourquoi pas ? Puisque l’on travaillera dans sa vie dans plusieurs sociétés, que l’on choisira selon ses valeurs, et que le salarié moderne est de plus en plus nomade, pourquoi n’aurait-il pas le loisir de choisir son pays, d’en changer au gré de ses humeurs et de ses intérêts, selon ce qu’il recherche ? Voila bien la solution, un État sur mesure… Mais un État riche pour les riches… Cela suppose donc que l’on accepte une bonne fois la séparation des riches des pauvres. Et exit les classes moyennes… La survie serait à ce prix.

Si tout cela semble fonctionner sur le papier, dans la réalité il n’en est rien. Et un conseiller du Président de la République ne l’entend pas de cette oreille : hors de question de brader le territoire pour rembourser une partie de la dette, tout abyssale soit-elle… Survient alors un attentat dans une pizzeria de Pigalle, nouvelle plaque tournante de la drogue, la fameuse D23. Et tandis que le gouvernement met en place des mesures drastiques pour rassurer l’opinion et les agences de notation, le grain de sable. Fjord Keeling, un journaliste décalé, un électron libre qui claque les portes, dit merde à ses chefs et n’en fait qu’à sa tête jusqu’au jour où il se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. À Pigalle, justement. Et de ce qui débute comme un scoop se transforme très vite en machination diabolique. L’étau se referme à chaque journée qui passe. Les preuves semblent s’accumuler. Est-il schizophrène ? A-t-il réellement posé cette bombe ?

Dans un style alerte et parfaitement documenté, Philippe Nicholson dépeint à merveille le fonctionnement d’une rédaction dans tout ce qu’elle a d’ambiguë lorsqu’elle s’accoquine avec le Politique et le Capital, décrypte le mentir-vrai des versions officielles et nous démontre combien le jeu de dupes dans lequel nous vivons est partout. Mais faut-il pour autant cautionner cette (dés)information permanente sous prétexte de parvenir à maintenir un statut-quo ? Quand on regarde ce que nous servent nos médias concernant la Lybie ou la Syrie, on en perd son latin. Alors pourquoi ne nous mentiraient-ils pas aussi sur les informations internes ? Vaste sujet… Un élément de réponse est caché dans ce livre qui risque bien de devenir mythique car prophétique…

François Xavier

Philippe Nicholson, Serenitas, Carnets Nord, mai 2012, 384 p. – 20,00 €

Lire également la chronique de Gérald Messadié sur Sérénitas