"Nos vies désaccordées", de Gaëlle Josse : le piano d’Orphée

J’ai soudain compris, au milieu de ce récit émouvant, ce qu’il me rappelait : certains romans à triple fonds de Kundera, où le narrateur voit son existence décousue et retournée comme un gant. La Plaisanterie, en particulier, dont Lucie, l’inatteignable héroïne, ressemble comme une sœur à Sophie Laroche. Ce nom ne dit que l’apparente solidité des êtres opaques et friables sur lesquels chacun voudrait bâtir. François Vallier mettra quant à lui des années à redescendre du sommet d’indifférence où la vie, tel un déluge, l’a échoué : a-t-on idée de porter le nom d’un sommet des Pyrénées ?

C’est au pied de ce massif, dans une clinique psychiatrique à mi-chemin de l’Endenich schumannien et du château kafkaïen, que Gaëlle Josse – révélée en 2011 avec Les Heures silencieuses – prépare l’ultime rencontre de ces deux infirmes que sont Sophie et François, la muette et l’aveugle, l’artiste née et le pianiste professionnel. Le mot suspense convient mal pour décrire le mélange de remords, de désir et d’angoisse qui étreint le lecteur à mesure qu’il remonte, en larmes, leur chemin d’incompréhension.

« La musique de nos vies parfois nous échappe. Comment la retrouver ? » C’est tout le sens, en effet, de ce patient voyage d’Orphée au pays de l’amour perdu.

 

Olivier Philipponnat

 

Gaëlle Josse, Nos vies désaccordées, Autrement, mars 2012, 144 p., 13 €.

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