"Sauver Mozart", premier roman de Raphaël Jerusalmy

Un étui à violon peut cacher une mitraillette ; voici un étui à mitraillette qui renferme un violon. L’arme, par destination, sera maniée par le grand Schneiderhan lui-même, sous la direction de Karl Böhm, durant la soirée d’ouverture du Festspiele de Salzbourg, le 17 juillet 1940. Le commanditaire de l’attentat sera dans la salle. Son nom : Otto J. Steiner, dont ce journal retrace les fébriles et malicieux préparatifs. Juif, Otto Steiner ? À peine, plutôt « un pot-pourri, mi-autrichien mi-silésien, pas encore mort et pourtant déjà banni du monde des vivants », ce qui ne vaut guère mieux. Ce mélomane préfère se définir « autrichien de condition phtisique » et feint de se croire différent des malheureux dont il partage pourtant le destin dans un sanatorium à la dérive, tel « un galet dans un torrent », mais « un galet qui roule encore ». Un par un, il a écoulé ses livres et ses partitions contre du cervelas, sans trop prêter l’oreille aux échos de la guerre. Jusqu’au jour où plus rien ne le protège de la crasse, des râles et des pommes de terre bouillies. Il lui faut alors contempler la bassesse et la laideur de l’époque, le mépris de l’art érigé en doctrine, puis découvrir par hasard qu’il ignore la peur. Dès lors Otto Steiner hésite : assassiner Hitler ou « assister une dernière fois au Festspiele, en costume-cravate » ? Incapable de choisir, il tentera de joindre l’utile à l’agréable. 

Le premier roman de Raphaël Jerusalmy, ancien de Normale Sup et du renseignement militaire de Tsahal – cursus peu banal –, repose sur la mise en scène d’une idée unique et simple. Tout d’abord, le fragile assemblage de paragraphes essoufflés que rien ne semble lier, aussi maigres que les pensionnaires du sana qui leur sert de cadre, ne présage rien de solide. Le narrateur en convient lui-même : « Je ne me retrouve absolument pas dans ces phrases trop courtes, saccadées, que j’ai pourtant écrites de ma propre main. » De fait, le château de cartes s’écroule au milieu du livre, mais on soupçonne une maladresse nécessaire : c’est le récit drolatique d’un projet terroriste contre Hitler et Mussolini au col du Brenner, digne du Dictateur de Chaplin. La leçon en est simple : à chacun selon ses moyens. Le modeste attentat ourdi par Steiner sera donc à l’image de son journal : subtil et distancié, mais d’une ironie radicale et d’un humour glacial. Ni grands mots ni grandes phrases, mais la tranquille affirmation qu’un acte de résistance est toujours possible, même à cet homme à bout de forces, acculé dans le « dernier retranchement » qu’il défendrait jusqu’à la mort : la musique de Mozart.

 

Olivier Philipponnat

 

Raphaël Jerusalmy, Sauver Mozart, Actes Sud, mars 2012, 160 p., 16,80 €.

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