Guillaume Noyelle donne avec "Jeune professionnel", roman de la grande entreprise déshumanisante

Un jeune homme va confronter sa propre nullité au monde de l'entreprise, et va essayer de s'enfoncer tout à fait dedans, comme un expérience. Après son départ, d'un pays lointain, il nous raconte cette immersion dans une vie qui ne pouvait pas être la sienne, même si pointe un rien de nostalgie, finalement...

« Le mensonge est le meilleur atout du candidat  »

Guillaume, donc, a réussit ses examens en bûchant mais en passant pour un glandeur. Il va tricher sur son CV comme dans la vie, tâchant d'apparaître comme autre. Alors il est embauché, jeune dynamique plutôt que dépenaillé à son naturel défendant, emploi vague qui va consister à faire des rapports vite ou pas du tout lus par un contrôleur de gestion ausssi improbable que lui, et toute l'entreprise d'aller cahin-caha comme mue par sa propre langueur. Les heures et les jours passent à faire semblant, à regarder dehors la Seine, à passer d'un bureau à l'autre avec un dossier sous le bras et une tenue d'homme préoccupé pour marqué son attachement à la besogne, ne pas quitter tôt, ne pas prendre de RTT... Mais en dehors de cette mascarade qu'il se joue aussi à lui-même, rien, pas de vie sinon celle d'un enfant chez ses parents. Si le monde de l'entreprise est le lieu idéal pour l'envol et la prise en charge de sa propre indépendance, c'est tout le contraire ici, car Guillaume est écrasé par un système où il veut entrer — où se persuade qu'il a sa place tout en y allant mollement, doux paradoxe — mais où il sent en même temps que sa place est ailleurs. Il faudra l'arrivée d'une nouvelle directrice pour qu'il soit confronté réellement à ce qu'il a fait, aux efforts qu'il a fournis et  à sa place dans le système : rien, nulle part ! Le sentiment qui perdure, dans ce récit un rien pesant de mélancolie — celle de l'adolescent qui ne trouve pas sa propre identité, pas encore — c'est celui de possibilités restreintes, d'engluement dans un réel qui va son chemin aussi bien avec que sans moi, ce qui réduit considérablement la possibilité de se croire quelqu'un. On retiendra cette belle image, assez évocatrice de l'ensemble : « distance considérable à vol d'oiseau en cage »...

Par cette expérience personnelle, l'auteur nous brosse un portrait assez caustique d'une grande entreprise où tout est communication mais où personne ne se parle, où tout est Un mais où personne ne se connaît car sitôt en dehors de la vie du bureau plus personne ne se souvient de vous. Et par petites phrases bien senties se déploie la rigoureuse nullité de la vie ; par exemple, quand le directeur réunit ses équipes pour annoncer son départ, le commentaire ne tarde pas : « On se passait déjà aisément de lui, aucune raison que, de surcroît, il quitte l'entreprise »

« Mon poste inutile me convenant. J'attendais tranquillement le placard, l'invisibilité »

Entre le Cahier de gribouillage pour adultes qui s'ennuient au bureau (Claire Fray, éd. Panama, un must !!) et Bonjour Paresse (Corinne Maïer, éd. Michalon, un régal du comment ne pas se faire prendre à rien faire…), Jeune Professionnel apporte une touche d'abord doucereuse puis franchement amère de nostalgie. Car le récit est fait non pas in vivo, mais des lointains, alors que Guillaume a quitté l'entreprise et qu'il bulle au soleil, sous quelque tropique, pas soigné, alangui et béat. Toutes ces images de sa première expérience professionnelle lui reviennent et, avec surprise, il se met à trouver plus belles les rangées de dossiers d'archives que les palmiers… Est-ce à dire que le regret pointe et que le récit est celui de ses plus belles années ? voire… le jeune professionnel avait pourtant sa place dans le monde du faire-semblant de l'entreprise, ce qui est, sans doute, à la base de cette petite nostalgie qui ne cesse de poindre dans le texte. 

Un roman qui va surprendre, à la fois par le détachement du narrateur pour son personnage — ou pour lui-même si l'on admet l'autofiction, dont on nous laisse penser que ce n'est pas une sotte idée —, et par la maîtrise du chemin emprunté par le personnage, justement, pour atteindre son but, inavoué : être dans la situation de ne plus pouvoir mentir, de devoir assumer sa propre nullité. Devenir adulte, en quelque sorte. Alors cruel sans aucun doute, le roman l'est pour tout le monde, ceux qui restent dedans et ne vivent pas et ceux qui sortent et ne vivent plus. Roman d'apprentissage ou roman de la perte, ce Jeune Professionnel a le mérite, au contraire de son personnage, de ne pas tricher : il ne se passe pour ainsi dire rien, c'est l'ennuie comme mode de vie et comme réalité — car sitôt rendu à la possibilité d'avoir des loisirs et des occupations s'abat le rien faire, même sexuellement —et le roman laisse sa belle écriture toute en retenue prendre le temps de nous ennuyer délicieusement.


Loïc Di Stefano
 

Guillaume Noyelle, Jeune professionnel, Bartillat, septembre 2007, 180 pages, 14 €

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