"La biche ne se montre pas au chasseur" - où quand l'enfant se fait attendre

LA BICHE NE SE MONTRE PAS AU CHASSEURLa narratrice a toujours su ce qu’elle voulait et obtenu ce qu’elle voulait sans lutter, sans difficulté. Elle croit au pouvoir de la volonté et jusqu’à aujourd’hui, ça avait plutôt bien fonctionné. Elle avait voulu une poupée qui parle et obtenue, qu’un jeune homme la regarde et il l’avait regardée. Jusqu’au jour où elle veut un enfant et où l’enfant ne vient pas. Au début, elle se dit que c’est normal, le temps que la machine se remette en route. Et les cycles s’enchaînent sans s’interrompre. L’angoisse monte face à la dictature de la performance et la narratrice se met en quête d’une explication. Car il en faut forcement une. Elle va croiser dans cette quête une ogresse lilliputienne, une gentille praticienne, un ours plaisantin. Elle enchaîne les analyses, les examens et une seule chose ressort : tout va bien. Si ce n’est pas physique, c’est donc dans la tête, ma bonne dame. Remontant dans le temps, de son enfance à son adolescence, elle revit ces moments où se construisent la sexualité et la féminité et qui nous déterminent en tant que femme, épouse et mère.

Une attente qui ne se dit pas

Eloïse Lièvre a choisi un sujet qui reste encore tabou car il nous interroge sur une étape normale pour une femme mais que se passe-t-il lorsque cette étape connaît un raté ? C’est notre statut de femme qui est remis en cause, notre normalité. C’est avec une certaine forme d’humour qu’elle retrace le parcours du combattant de cette femme dont on ne connaît pas le nom et à qui l’on peut s’identifier. Car lorsque l’on arrête son moyen de contraception, on vit dans l’attente du retard, des premiers signes d’une grossesse, au grès des avis des copines qui nous rassurent d’un « c’est normal, la moyenne pour tomber enceinte est d’un an… » Bref, l’expression attendre un enfant est une expression qui peut se révéler trompeuse comme nous le découvrons au fil des pages de la biche ne se montre pas au chasseur. Du coup, nous vivons cette douce et terrible attente de l’enfant avec elle. Son attente, à laquelle elle s’accroche, devient notre attente. L’auteur passe d’un registre à un autre : de l’humour aigre doux lors de sa visite chez une gynécologue perchée, aux heures passées sur les forums spécialisés succèdent des passages décalés comme ces deux pages en italique, commençant par « pour la première fois, votre chienne va être mère » suivies par la méthode utilisée par son père pour se débarrasser des chiots non désirés. Autant de passages qui nous font progresser vers le passé de la narratrice, passé où se trouve l’explication. Même si l’on se perd un peu parfois au grès de longues phrases ponctuées d’images et de virgules, le roman d’Eloïse Lièvre se lit d’une traite car une question reste en suspend : l’héroïne va-t-elle finir par attendre un enfant ?

Julie Lecanu
 

Eloïse Lièvre,  La Biche ne se montre pas au chasseur, D’un Noir si Bleu, février 2012, 153 pages,16,50 €

Lire les dix bonnes raisons de ne pas lire ce livre, par l'auteur elle-même

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