"L'homme à la carrure d'ours" de Franck Pavloff - Une plongée dans l'univers effrayant et fascinant du grand nord

L'HOMME A LA CARRURE D'OURS"Non les brav’s gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux." 
G. Brassens

Dans une zone du Grand Nord rayée de la carte par les Autorités, vivent d’anciens ouvriers regroupés en communautés hostiles. Depuis trente ans, oubliés de tous, ils tentent de survivre comme ils le peuvent, gardés par des soldats invisibles mais dont les tirs se font entendre régulièrement à des lieues à ronde. Dans cet enfer, ils nourrissent tous des idées d’évasion, se préparant, réunissant de la nourriture, essayant de fabriquer de la poudre, de l’essence pour un jour sans cesse reporter car ce n’est jamais le bon moment. Mais cet espoir leur permet de survivre. Ce n’est plus suffisant pour Lyouba, vingt ans, la seule à être née dans la Zone. S’abritant derrière le silence et le mutisme après que sa grand-mère l’ait livrée aux hommes de la communauté, Lyouba rêve elle aussi de s’échapper, de sortir de la Zone. Mais aidée de Kolya, un sculpteur d’ivoire descendant des Lapons, elle va vaincre ses peurs et retrouver cette liberté, objet de toutes les convoitises.

Dans L’Homme à la carrure d’ours, Franck Pavloff recrée une sorte de microcosme de notre société. Dans cette Zone contaminée par des produits toxiques, les Autorités ont parqué une population condamnée à l’oubli. Ces hommes s’organisent alors en groupuscule dont le seul point commun est de vouloir s’échapper sans en avoir le courage. Finalement leur prison est plus mentale que physique. Dans ces circonstances, chacun s’organise pour sa survie, jalouse ce qu’il ne peut posséder, cherche son profit au dépend des autres, s’accroche à une croyance pour tenter de dominer comme le Pope, prophète auto proclamé, qui ordonne à Misha de livrer sa petite- fille aux hommes de la communauté pour qu’elle procrée sur ce bout de terre stérile. Stérilité de la terre, des hommes et des cœurs à laquelle Lyouba et Kolya répondent par un mutisme qui leur permet de ne pas se perdre. Ces deux personnages, pleins de force et de poésie, vont s’unir pour briser les liens qui les maintiennent enchaînés et trouver le courage qui manque à leurs congénères. Des âmes pures au milieu d’êtres pervertis. Mais les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. Parce qu’ils sont déjà libres dans leur esprit avant même de l’être physiquement, ils vont s’attirer la haine et le ressentiment de la communauté en prouvant que c’est parfois en refusant de suivre le courant que l’on retrouve la liberté. Car voici la vraie morale de cette histoire. Une morale qui s’impose à nous avec subtilité grâce à l’écriture de Franck Pavloff qui réussit à décrire avec force, par petites touches, cet univers à la fois fascinant et terrible du Grand Nord. L’Homme à la carrure d’ours pointe également les disfonctionnements des anciens pays de l’est, pollués par une industrie hors d’âge et des déchets dont on ne sait pas quoi faire et surtout leurs conséquences sur les hommes. Pourtant, malgré cela, le décor reste d’une terrifiante beauté sous la plume de Pavloff.

Franck Pavloff nous livre ici un magnifique roman avec des personnages et un cadre dépeints avec force et poésie. À sa lecture, on se laisse emporter dans un univers lointain sur les pas de Kolya et Lyouba à la recherche d’une liberté perdue.


Julie Lecanu
 
Franck Pavloff,  L'Homme à la carrure d'ours, Albin Michel, janvier 2012, 203 pages, 15 €

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