Kââ ou l’art de la déréalisation

Avancer dans sa vie est comme préparer un casse. Il faut une
équipe dévouée et généreuse de ressources. Ainsi en va-t-il de l’existence du
laissé pour compte et du magnat.
L’autre est indissociable de la trajectoire
imposée par la société civile. Vous le rencontrez, le perdez sans jamais tout à
fait le retrouver.
En 1984 parait au Fleuve Noir, Silhouettes de morts sous
la lune blanche, dans la
collection "Spécial Police". Pascal Mérignac, alias Kââ, fracturait les serrures
des conventions du roman de gare en se foutant royalement du respect des
intrigues à tiroirs, du suspens, de l’articulation et autres procédés de
construction des récits dits policiers et vendeurs. Pour l’écrivain Kââ, l’homme
et son autre, sont au cœur de la relation. Toi est je, et si je meurs ça ne sera
jamais au service d’une intrigue mais d’un parcours de vie jusqu’au trépas.
Les attaches populaires du bon petit polar à lire dans le train s’accordèrent de cet outrage fait au genre.
Pour Mérignac l’avancée, le pas, la démarche de l’homme
prévalent sur les conditions et contraintes qui le mènent. S’il y a
distanciation, elle ne sert qu’à éclairer le lecteur, l’invitant à se placer au
volant d’une Mercedes sur les riantes et violentes routes et autoroutes de nos destinées
avec à son bord, dans un coffre, un mystérieux mal à transbahuter.
Le héros regarde dans la même direction que le spectateur de son éphémère aventure humaine et le questionne : aurais-tu confiance en ton meilleur ami s’il te proposait un rendez-vous avec ton pire ennemi ? Alors pourquoi acceptes-tu les conventions d’une société qui dès ta naissance empile et édifie les colonnes de ton aliénation ? Par respect d’une parole tutélaire ?
Kââ frappait fort en cette année 1984, offrant aux lecteurs du Fleuve Noir des textes ( FN publiait coup sur coup Mental et La princesse de crève ) éclaboussant de lumière les tréteaux tragiques des misères humaines, découpant les silhouettes de ses héros tueurs, joueurs, industriels, cadres en pleine crise identitaires et ignorant de leurs propres maux, se réfugiant avec délice et fatalisme dans les pires cauchemars contemporains : la violence comme réponse à la peur et à l’incompréhension intrinsèque de ce qui nous a créé : la volonté et le regard de l’Autre.
L’art du déplacement donc, non pour échapper à l’immobilisme mais à la réalité. Kââ ou l’art de la déréalisation.
To be continued.
Thierry Brun
Kââ, Silhouettes de morts sous la lune blanche
- Fleuve noir, "Spécial Police" n° 1862, 1984
- Editions du Masque, "Le Club des Masques", 2001
- Pocket, "thriller", 2003
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