"La Controverse de Valladolid", la tâche sur l'humanisme du XVIe siècle

Réécrivant l'histoire pour lui donner une substance romanesque sans rompre avec la véracité des faits, Jean-Claude Carrière s'est emparé de la controverse de Valladolid avec le succès que l'on sait. De nombreuses éditions, un film, une pièce de théâtre... Voici donc une nouvelle édition de ce texte très moderne qui ne cesse de trouver écho dans la folie des hommes qui s'entretuent pour des idées et, peut-être surtout, les profits.

"L'or justifie toute souffrance"

Dès la découverte de l'Amérique, les commerçants vont suivre les conquistadors (les sinistres Cortès, Pizarre...) de près et les peuples locaux vont être réduits à en esclavage. Les Papes et quelques humanistes auront beau protester, la distance océanique sera le meilleur gardien de cette nouvelle barbarie instaurée sur l'altière morgue de quelques hommes cruels, qui dès 1546 mettent un terme à la conquête du Mexique : il n'aura fallu que cinquante ans pour dévaster tout un monde...

Deux personnages vont s'opposer sur la conception du monde et la place de la très-Sainte Eglise. D'un côté, Ginès de Sepùlveda, ami d'Hernan Cortes, chanoine de Cordoue qui publie Democrates alter, sives de justis bella causis : des Justes causes de la guerre. La thèse est simple : Dieu à donné à l'Espagne des royaumes inférieurs sur lesquels étendre son pouvoir pour la gloire de Dieu. Dans cette optique, les Indiens sont des "animaux" nés pour être sous le joug des Espagnols. De l'autre côté, le père Bartolomé de Las Casas, qui a vingt-sept ans ouvrira son coeur aux souffrances des Indiens et n'aura de cesse de combattre pour leur dignité, allant jusqu'à s'opposer juridiquement aux conquistadors en imposant un territoire protégé, sans esclaves, sans violence

Les Indiens sont-ils libres par nature ou soumis au droit naturel que les Espagnols auraient sur eux. Voilà tout le sujet d'un débat qui n'eût jamais lieu, Carrière nous le signale en préface, mais qui marqua l'Histoire en donnant peut-être pour la première fois la justification légale d'une épuration ethnique.

" — Ou bien ils sont pareils à nous, Dieu les a créés à son mage et rédemptés par le sang de son fils, et dans ce cas ils n'ont aucune raison de refuser la vérité.
Il marque une courte pause et reprend, tranquille et sûr :
— Ou bien ils sont d'une autre espèce."


La mise en scène de part et d'autre est conséquente ; il faut convaincre les légats du pape et le Roi d'Espagne de la vérité des choses et de la supériorité de la chrétienté sur le monde. C'est une théâtralisation de main de maître qui offre une joute d'intelligence entre un docteur de l'Eglise et un moine franciscain (1) dont on regrettait presque qu'elle n'ai pas pris une ride depuis le XVIe siècle, et serait transposable de nos jours avec un exalté porteur de paix et un machiavélique prêt à tout pour asseoir sa vérité.


Loïc Di Stefano

Jean-Claude Carrière, La Controverse de Valladolid, Pocket, août 2012, 253 pages, 5,70 eur

(1) Peut-être une source du Nom de la rose...

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