"Héros", Félicité Herzog empêtrée dans sa propre fascination

Il n’y a pas que les mères dans la vie, il y a aussi les pères. Je serais mal placé pour le nier. Quand on a connu des situations extrêmes, guerre, torture, camp de concentration, on n’écrit plus que sur cela, même quand on a l’air de parler d’autre chose, mais nous avec nos petites vies de quoi parlerions-nous si ce n’est de nos familles. La famille, l’enfance, voilà nos guerres et nos camps. Et cet automne les pères semblent plus particulièrement à l’honneur.


Félicité Herzog a de la chance, en matière de père elle a été servie : alpiniste, vainqueur de l’Annapurna, séducteur, ministre, madame de Gaulle envoyait de la layette aux naissances… Tout un roman. Ce père cependant est vite expédié dans Un héros, promptement liquidé, un petit chapitre pour dire qu’il n’a sûrement pas atteint le sommet mythique, après quoi il ne fera plus que de rares apparitions.


On nous dit d’ailleurs que le héros du titre n’est pas le père mais le frère, aimé, détesté, mort fou. Seulement on reste extérieur à cette histoire-là aussi, dont Félicité Herzog semble se rappeler de temps en temps qu’il faut qu’elle la raconte. Elle nous redit alors à quel point Laurent était violent dès son enfance, elle nous parle de ses lèvres tuméfiées, de son cuir chevelu entamé, mais rien à faire, ça ne marque pas. On reste de marbre.


Le véritable sujet du livre est peut-être plutôt l’univers aristocratique des grands-parents, qui demandaient à la petite Félicité quand elle se déciderait à devenir "une femme du monde". Ou plutôt serait-ce son enfance et son adolescence en tant que telles, 16e arrondissement, maisons, château où le maître d’hôtel annonce "Madame la duchesse est servie" comme dans les livres ?… Symptomatiquement c’est sur ce château que se clôt le sien. Le frère n’y rôde plus qu’au titre de fantôme hypothétique, comme un remords.


Résumons-nous : un père qui cache un frère qui cache un grand-père dans un château, au-delà duquel se dissimule peut-être, toute petite au bout d’une allée, la petite Félicité contemplant d’un œil admiratif et quelque peu éberlué sa propre histoire. Avouons que tout cela est assez sinueux, contourné, en un mot, tordu.


De ce point de vue-là peut-être le curieux charabia dans lequel l’auteur s’exprime est-il en fin de compte adapté. Au début on s’étonne de ces longues phrases bancales où il est question de "désert affectif et brûlant", d’une "carrure véhiculant des sonorités de morse" ou de "mettre fin à sa relation au terme d’une décision outragée". Il n’y a donc plus de correcteurs chez Grasset, s’interroge-t-on. Puis on comprend qu’il aurait fallu tout réécrire et qu’ils ont plutôt décidé que c’était un effet de style. Et on en vient à penser soi-même que ce volapuk, pour parler comme le Général qu’admire Félicité Herzog, n’est pas sans conférer au livre un certain charme baroque.


Pauvre Félicité, pauvre petite fille riche mal prénommée avec les amants célèbres de sa mère, les conquêtes de son père et les chasses de son aïeul. C’est son Annapurna à elle ce gros sujet qu’elle essaie d’escalader courageusement à coups de phrases titubantes, et où elle se perd malgré tout, empêtrée dans sa propre fascination. Elle s’efface, il n’en reste qu’une silhouette évanescente et gracieuse, comme dans les clichés de David Hamilton qui a failli la photographier adolescente, nous dit-elle.


Son père la photographie pour de bon, lui, nue, à la fin d’un chapitre qui commençait par une descente à ski vertigineuse derrière le frère ambivalent. Ce chapitre-là on le retient, comme on retient celui où Félicité Herzog, enfin débarrassée de sa famille, nous parle de son expérience d’analyste financière dans une grande banque new-yorkaise. Ce sont sans doute des chapitres de roman. Car par ailleurs, inutile de le dire, le livre est un pur récit autobiographique sans rien même d’autofictionnel. Seulement il fallait le mot roman sur la couverture, bien sûr. Le nom d’Herzog aussi.


Pierre Ahnne


Félicité Herzog, Un héros, Grasset, août 2012, 304 pages, 18 euros

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