Inquiétante étrangeté : « Je suis la reine » d’Anna Starobinets

Un vent de hardiesse soufflerait-il ces temps-ci chez les éditeurs français ? En tout cas, après deux recueils de nouvelles russes, publiés récemment aux éditions de l’Aube, en voici un troisième : Je suis la reine d’Anna Starobinets, que publient les éditions Mirobole pour leur entrée en matière dans le paysage littéraire (Je suis la reine est en effet, avec Nid de guêpes d’Inger Wolf, le tout premier ouvrage qu’elles publient).

 

Dès sa parution en 2005, ce livre a joui d’un grand succès en Russie, figurant parmi les présélectionnés pour le Prix du Best-Seller national et valant à son auteur d’être bientôt traduite dans plusieurs langues. Pour notre plus grand bonheur, c’est désormais chose faite en français.

 

Anna Starobinets est un jeune auteur de 34 ans, journaliste de son état, qui a déjà cependant à son actif une œuvre où romans et nouvelles fantastiques alternent avec des contes pour enfants, après un début placé sous le signe des « histoires inquiétantes » que nous livre Je suis la reine. Le recueil compte six nouvelles, fort bien traduites, qui témoignent d’une grande aisance à manier différents types de narration.

 

Anna Starobinets excelle en effet dans l’art de mêler le satirique à l’inquiétant ou, mieux, de faire naître l’inquiétude du ridicule de l’existence. Dima, le protagoniste de « La famille », s’agace de ces personnages ineptes qui voyagent dans le même compartiment que lui, avant d’apprendre qu’il s’agit de sa femme et de son beau-père. Dans « L’éternité selon Yacha », le héros, qui a été déclaré mort parce que son cœur ne bat plus, est tout de même assez vivant pour effectuer le mois de travail qu’il doit encore à son employeur ou discuter avec femme et belle-mère du règlement de sa succession.

 

Tôt ou tard, les personnages d’Anna Starobinets se retrouvent, tel Yacha, séparés des autres hommes par un « fossé invisible », et l’horreur naît de ce que sous une apparence de normalité, les êtres demeurent absolument étrangers et opaques les uns aux autres. Aussi, derrière l’inquiétude suscitée par ces récits à l’ironie féroce, sourdent des émotions qui les rendent souvent poignants : la solitude, l’échec, la perte inéluctable des êtres aimés sont le lot des personnages d’Anna Starobinets.

 

À la différence d’un grand nombre de livres russes, Je suis la reine est assez chiche en descriptions de la réalité russe contemporaine. De fait, le propos d’Anna Starobinets semble avoir une visée plus existentielle que réaliste. Avec une virtuosité aussi indéniable que prometteuse, elle nous peint, non pas l’âme russe, mais des esprits malades et enfermés sur eux-mêmes, impuissants à communiquer réellement avec autrui.

 

C’est à la fois terrible et cocasse, cruel et émouvant, varié mais doté d’une petite « musique » déjà reconnaissable. Un premier essai transformé, en somme, et l’on ne saurait trop remercier les éditions Mirobole d’avoir choisi de « naître » de cette « Reine » inquiétante. Hâtez-vous de lire le livre : vous comprendrez.

 

André Donte

 

Anna Starobinets, Je suis la reine, traduit du russe par Raphaëlle Pache, Mirobole éditions, coll. « Horizons pourpre », mars 2013, 211 pages, 19,00 € 

 

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