Je est un autre : « Ailleurs et même plus loin » de Max Alhau

Max Alhau est surtout connu pour sa poésie, qui lui a valu plusieurs prix, dont le Prix Charles Vildrac en 2006 et le Prix Georges Perros en 2007. Pourtant son œuvre de nouvelliste commence à être conséquente et les éditions du Revif viennent d’en publier le dernier opus, Ailleurs et même plus loin, un recueil de huit nouvelles allant de quelques pages à une cinquantaine. Écrits dans une langue simple et élégante, ces textes sont unis, en dépit de modes de narration variés, par une même tonalité absurde.


Dans Ailleurs et même plus loin, la vie quotidienne devient le lieu de l’inexplicable. Films, livres, séjours à l’hôpital, voiture stationnée dans une rue…, tout peut constituer la brèche par laquelle l’univers familier bascule dans l’incompréhensible et devient un ensemble de signes que le personnage ne parvient plus à lire.


« Ailleurs et même plus loin », la nouvelle qui donne son titre au recueil et qui en est aussi la plus longue, s’avère également, malgré l’inconfort hypnotique qui s’en dégage, la moins originale : Manuel Rosario souhaite se rendre à New York et au lieu de cela, atterrit dans un pays qu’il ne connaît pas, où les « étrangers » comme lui sont contraints de vivre cachés et dont les autochtones demeurent d’impénétrables créatures. On songe bien évidemment à Kafka. Cela dit, au terme de ce périple, Manuel Rosario finit quand même par rentrer et constate avec satisfaction que « la parenthèse s’était fermée », toute incompréhensible qu’elle ait été.


Dans les autres nouvelles en revanche, l’étrange et l’absurde deviennent plus radicaux, coupant définitivement les personnages de leurs semblables, tel Paul Lavoine d’« Aux bons soins de l’absent », qui s’enferme dans une obsession apparemment anodine – qui est le propriétaire de la voiture qu’il a vue abandonnée ? – et fait fuir son entourage. L’atmosphère créée est ainsi d’autant plus inquiétante qu’il n’est nullement question de folie ou de fantasmes déviants.


Et Max Alhau va encore plus loin encore dans d’autres textes, quand l’existence finit par couper les personnages, non seulement des autres, mais aussi d’eux-mêmes, à l’instar du protagoniste de « La mémoire d’une autre » qui, après un bref séjour à l’hôpital, ne reconnaît plus vraiment ce qui est censé être sien et constate que les « images qui surgissaient de temps à autre faisaient partie d’un film dont il n’était que le spectateur involontaire, et il était incapable de retrouver ces traces : ces figures, ces lieux demeuraient à jamais inaccessibles. »


Le lecteur déambule avec un mélange d’inquiétude et de délectation dans cette galerie de miroirs déformants qui révèlent une autre image du monde moderne : une image saisissante qui fait ressortir certains traits du modèle, habituellement noyés ou masqués par le point de vue commun.


André Donte

 

Max Alhau, Ailleurs et même plus loin, Éditions du Revif, 2012, 123 pages, 16 €

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