L’amour des Lettres Françaises de Mario Bellatin : à la recherche de Camus et de Robbe-Grillet

Dans la penderie de Monsieur Bernard raconte une rencontre imaginaire ou réelle (au fond peu importe !) entre Mario Bellatin écrivain mexicain en cour auprès des critiques avant-gardistes, « matriculé » sinon incorruptible et le « pape du Nouveau Roman », Alain-Robbe Grillet. La rencontre entre les deux écrivains a lieu aux pieds d’une falaise qui surplombe un cimetière marin, un vrai, où la mer vient lécher les tombes et pas du tout celui de Sète bien au sec en haut de sa colline.

 

Qui aujourd’hui, hormis sa femme, peut bien s’intéresser à Alain Robbe-Grillet ou quelque podagre universitaire en mal de glissements progressifs de désir ? Bellatin répond présent avec la fraîcheur du récent converti à la déconstruction.

 

 

IL y a quelque chose de chose de Borgès dans cette dérive latine (peut-être le ton faussement badin), où l’auteur produit un babil délicieux de conversations éclectiques qui s’interrompt de temps à autre pour laisser place à un cri, celui de son corps abimé, inguérissable et réelle blessure…

 

Curieuse rencontre qui commence fortuitement : le narrateur blesse Monsieur Bernard chef de quelque « Mouvement Littéraire Extrêmement Innovateur » (un petit caillou l’atteint à la tête) tombé d’une improbable falaise. Blessure bégnine mais qui permet de nouer le contact, le narrateur vole à son secours. Pour le remercier le grand écrivain prépare à l’impétrant un bouillon à base d’os de volaille.

 

Dès les premières pages on nage en plein surréel. C’est que le sujet de cette « penderie » est ailleurs, prétexte à une lente déambulation littéraire extravagante et érudite.

On l’aura compris ou pour faire simple (biffez l’inutile mention) : le sujet du livre est plutôt la littérature elle-même. Ainsi de ce lumineux décryptage du roman préféré des français, l’Étranger de Camus. Une manière d’hommage bien inédite en cette période de célébration et qui tombe à pic. Mario Bellatin s’interroge, linguiste, dès l’incipit, sur la déictique progression initiale d’Albert dans L’Étranger :

 

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.

 

La deixis étant l’ensemble des termes qui ancrent le texte dans un contexte… bonjour la déstabilisation d’emblée ! Ajoutons à cela une incertitude temporelle : « C’était peut-être hier. » Et l’exégète subtil de poursuivre sur le passé composé (un temps qui n’ a aucune répercussion sur le présent )préféré au passé simple (temps des faits).

Pour Monsieur Bernard c ‘est sûr , seul un écrivain de « grande race » peut produire cela.

 

Jean-Laurent Poli

 

Mario Bellatin, Dans la penderie de Monsieur Bernard, traduit de l’espagnol par Christophe Lucquin et Andrès Felipe, Christophe Lucquin Éditeur, 68 pages, 12 €

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