La ville d’ambre : Grandeur & décadence selon José Carlos Llop
L’historiographie
est un sport dangereux, qu’on le pratique vis-à-vis d’un tiers pour répondre à
une commande d’un éditeur, à un travail de recherche ou que l’on y plonge avec
curiosité car il s’agit de la famille : le Graal risque bien d’avoir un arrière
goût fétide.
Le narrateur de cet étrange roman n’y échappera pas. Ecrivain reconnu, il
quitte Barcelone pour se rendre dans sa ville natale à la demande du notaire
qui doit clôturer le testament de son oncle. En effet, à la mort prématurée de
ses parents dans le crash de l’avion qui les emportait vers Lisbonne, ce fut le
sulfureux Nicolàs Bemberg, cousin de se défunte mère, qui l’éleva. Sans enfant,
il en fit donc son héritier...
Peut-on hériter de tout, même des secrets les plus inavouables ? Doit-on
participer à préserver la mémoire d’un homme dont le comportement durant la
Seconde guerre mondiale est pour le moins douteux ? Mord-on la main qui
vous a nourri ? C’est avec ces questions lancinantes et difficiles que le
narrateur vogue vers son destin.
Il retrouve une cité atone qui a traversé les âges sans évoluer le moins du monde. Tout est gris alors qu’il met le pied sur les traces de son passé. Certaines ombres ressurgissent, certains plaisirs avec Emilie, la bonne de son oncle, de ces petits instants passés à la cuisine ou dans son lit... La trame narrative, toute en nuance et suggestions, défile dans une habile construction qui mêle passé et présent.
L’oncle Bemberg serait un collectionneur et un grand photographe, mais la
provenance de ses biens laisse planer un doute quand on sait qu’il suivit les
armées allemandes dans toute l’Europe, dans les années 1940, avant de rentrer
en Espagne avec son butin. Trop de gens semblent savoir mais personne ne parle.
Le notaire demeure tapi dans son office, l’Ecrivain perd la tête depuis la
disparition de son épouse, seules demeurent les voix, soit dans le souvenir du
narrateur, soit dans l’écoute des anciennes musiques qui accompagnaient l’oncle
Nicolàs Bemberg...
Tout pour s’échapper, tout plutôt que d’affronter la réalité, comme on lit pour
être ailleurs, n’être pas totalement soi-même et fuir cette vérité qui brûle.
"La vie de tous les jours, c’est trop vulgaire. Le présent est toujours trop vulgaire, heureusement qu’on le camoufle un peu avec le temps qui passe, parce que sinon ça serait bien triste."
On savourera
cette langue poétique faite de rémanences, ancrée dans une musicalité toute
ibérique que José Carlos Llop nous avait déjà offerte avec Le Rapport Stein.
On plongera avec délice dans cette drôle d’histoire qui porte le lecteur sur
les pas d’un narrateur désabusé qui semble ouvrir les fenêtres de son
calendrier de l’Avent comme s’il recelait les clés de son destin.
À savourer lentement.
François Xavier
José Carlos Llop, La ville d’ambre, traduit de l’espagnol par Edmond Raillard, éditions Jacqueline Chambon, février 2011, 172 p. - 18,00 €
0 commentaire