La Forêt d’Apollinaire : un amour belge de Guillaume

Stavelot, région des Hautes-Fagnes, Belgique, été 1899. Un jeune homme débarque sans le sou avec son frère. Il se nomme Wilhelm de Kostrowitzky,  il a dix-neuf ans. Sa mère, aristocrate polonaise, dépenses ses journées au casino de Spa, tout proche. Le jeune homme, qu’on prend pour un baron russe, découvre alors cette région, sa lande avec ses caprices de belle adolescente, ses humeurs de fille farouche, ses flamboiements de femme. Wilhelm est absolument fasciné par ce morceau de Nord aux marches du Midi. Pour lui, cette région, c’est le vert absolu, une mer verte qui lave tout. Le jeune « baron », natif de Rome, n’a connu que le soleil méridional. Il plonge à la source de son bonheur, fait la connaissance de Pierre, un jeune instituteur, qui l’entraîne dans la féérie d’un été décisif, passionné, magique. L’été ardennais est une femme amoureuse. Aux soirées théâtrales de la Fougère, Wilhelm fait la connaissance des trois sœurs Dubois, dont se détache Maria, comédienne aussi à l’aise à la ville qu’à la scène – sa peau mate lui donne une je ne sais quoi d’exotique dans ce pays où les filles ont souvent le teint rougeaud. Le jeune homme en tombe amoureux. Maria s’éprend de lui à son tour. A la messe, poète enchanteur, ce dernier remarque que Maria a la même courbure de cou que la statue baroque derrière elle. Pour le jeune poète l’amour transfigure les êtres et le paysage est lu comme un recueil en train de s’écrire. Un hêtre, c’est presque une femme, remarque-t-il d’un œil surréaliste.   

 

Ce roman-vrai, constitué d’une trame narrative, s’entrecoupe des extraits d’un journal tenu par l’instituteur en 1969. Ami de Maria et de Wilhelm, il revient avec nostalgie sur l’été 1899. Sa vie a passé, seul le péket, alcool fort ardennais, ravive les souvenirs. C’est le moment des confidences. Le jeune Wilhelm a fait son chemin, il est entré dans la joyeuse boucherie de la Grande Guerre, en est sorti vivant. Puis, il a contracté la grippe espagnole, en est mort à trente-huit ans, le 9 novembre 1918.

Surtout, Pierre confie sa lointaine trahison, il a manqué de courage : Maria est morte le neuf février 1919. Trois mois, jours pour jour, après la mort de Wilhelm. J’aurais dû... Pourquoi ne lui ai-je jamais rien dit sur la vie de son poète ? Jamais Maria, en effet, n’a su que le jeune homme qui se piquait d’herboristerie, d’éditions rares, de mots wallons,  et de vin de Bourgogne, qui notait des idées, des bouts de phrases, des expressions qui semblent chanter juste, avait bouleversé la poésie, enchanté le monde sous le pseudonyme de Guillaume Apollinaire...   

 

Christian Libens a mené l’enquête dans une région du cœur et de l’âme belge qu’il connaît bien – il est l’auteur de plusieurs guides littéraires de la cité liégeoise –, mais c’est en romancier-poète qu’il nous livre les aventures du « guetteur mélancolique », le tout jeune Apollinaire, qui n’a encore rien publié. On marche avec lui et l’auteur d’Alcools à travers cette forêt de métaphores, le mystère wallon des Hautes-Fagnes, et la naissance de l’amour. On y rencontre des jeunes gens d’autrefois, de toujours ; ils rient, ils manquent de se noyer dans l’amblève, la rivière qui rime avec rêve, et dont Wilhelm se souviendra avec tendresse, écrit Bernard Gheur dans sa préface. Guillaume Apollinaire nous revient sur la pointe des pieds dans ce roman d’une rare délicatesse, que l’on savoure comme une histoire vraie – ce qu’elle est : Apollinaire fut amoureux quelque temps de Maria Dubois, Mareye,  à Stavelot. Il y a connu l’amour avant de poursuivre son destin. Car il faut rappeler que durant plusieurs années, personne n’a fait le rapprochement entre l’escroc Wilhelm de Kostrowitzky parti à la cloche de bois le 5 octobre 1899 de son hôtel de la rue Neuve, et le génial poète parisien Guillaume Apollinaire.      

  

Frédéric Chef

 

Christian Libens, La Forêt d’Apollinaire, préface de Bernard Gheur, septembre 2013, Weyrich, coll. « Les Plumes du Coq », 184 pages, 14 € 

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