Andoche Praudel : les Cublac ou la disparition des lucioles

Parfois Andoche Praudel traverse le monde et l’Histoire, parfois il revient à le sienne. Dans les deux cas il s’agit du même processus :
« Toute l’histoire est de poudroyer finement / réduire l’élément en pommade / sans grain ni reliquat » (Décoction, p. 112). Cette pommade n’est pas forcément astringente et l’être n’y « subsiste pas sans mélange et mascarade ». Si bien que la structure même de ce « catalogue » (mémoire et bilan en acte) ne prétend pas enserrer le temps de manière univoque et linéaire. L’intérêt même du livre tient à sa diffraction, à son état hybride. Le savoir remonte en bulles : celles de vignettes (poétiques ou photographiques) et celles qui remontent  des marais où toute vie commence.


Andoche Praudel transforme leur état gazeux en un état de fouille du destin où survivent ses lucioles. Une transfiguration de la notion même de récit se produit par une assomption poétique. Elle ne cherche pas les éthers (forcément vagues) mais la mise en premier plan de la misère morale de ce qui ressemble parfois à celle d’un sous prolétariat. Mais l’auteur trouve dans la culture populaire de ses racines une résistance à la noirceur des choses même s’il prend largement en compte le désenchantement que le quotidien passé induit.


Néanmoins Andoche Praudel, en dépit de la violence de ses évocations, se revendique des siens « Je m’appelle Cublac » scande-t-il. Il est du lieu, de sa place et de son orme sous lequel les filles du village dansaient. La fange y est toujours proche du pré. Mais qu’importe ; « Dans le ciel de l’Histoire, l’Histoire couverte de plaies fait la fièvre / Elle ne manque pas de naturel : l’Histoire ne manque de rien ». Pas même de ceux que l’auteur remet à leur place sans condescendance ni mépris en ses jeux de langage radicaux et dégagés d’idéalisme. Praudel est un des leurs, il devient « la langue sans les mots » comme les mots sans la langue. Elle retrouve pourtant ici une activité pleine.


Elle dresse une réalité d’un « pays » dont l’auteur conserve l’esprit entre ombres et lumières par l’exposition des « siens ». Restent quelque chose du traumatisme des traces indélébiles mais aussi un amour présent quoique partiellement anéanti. Cette réalité rassemblée demeure donc contemporaine. Par son hypersensibilité le poète ouvre  descriptions et évocations sur un malaise dans la civilisation. Hier c’était au Japon (Tsunami)  aujourd’hui c’est en Limousin. Dans les deux cas  il donne corps aux chances de survie. Et si le poète se désigne ainsi « Je suis le pays sans personne » dans ce pays demeure « le chemin des nuages en voûte comme une ombre qui passe en blanc ». Loin du plaisir de tout ornement le poète qui rêvait de quitter sa terre y  reste attaché. C’est une manière de s’aimer lui-même au milieu du « malgré tout » d’une sauvagerie du passé et de celle des tracteurs du présent. Malgré l’obscurité de la nuit sans lune un temps d’émerveillement (lucide) suit son cours.


Jean-Paul Gavard-Perret


Andoche Praudel, Un catalogue, Trace(s), Passages d’Encres, Moulin de Quilo, 56310 Guern, 20 E.

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