Les durations de Dorothée Volut

                   


Dorothée Volut, A la Surface, Eric Pesty éditeur, 96 p., 13 E.


Dorothée Volut est un des écrivains les plus intéressants et subversifs de sa génération. Née en 1973 elle s'est installée à Marseille puis Artignosc-sur-Verdon. D’abord intéressée par une forme de théâtralité d’une écriture-voix à forte puissance « théâtrale », elle s’est orientée vers une écriture plus dense où l’intime n’a rien d’une exhibition. Dans un registre bien plus conséquent elle cultive une intransigeante et une radicalité dont « alphabet » et « à la surface » (Éric Pesty éditeur) sont l’exemple parfait.


Le premier livre est une suite de 22 proses courtes phrases typographiées en capitales. La perception oscille sur ce que la créatrice nomme « la frontière labile » entre intérieur et extérieur, le « d’où je viens » et le « où je vais » par l’entremise du présent de l’écriture longuement travaillée. Destinées initialement à intégrer  « à la surface » ces proses ont trouvé leur existence propre. Elles montrent comment  « toucher se tient à l’écart ». Mais elles prouvent néanmoins qu’il faut lutter contre les manques, étendre, étirer la perception de soi, des autres et du monde même si les textes dans leur densité et concision s’opposent aux laïus et longs pensum discursifs.


Quant à «A la surface »  12 voix y cohabitent de manière contemporaine selon une approche musicale. Ils forment des récitatifs qu’on peut rapprocher de certaines variations de John Cage. En de telles « durations » le sujet ne cesse de changer à travers chaque soliloque. La parole avance sous forme d’une performance. L’écriture semble se faire en avançant – même si elle est reprise  de manière à l’acérer. Elle trouve une force particulière car l’idée ne la précède jamais. Concentré sur la thématique de l’enfance le livre devient un véritable laboratoire poétique en douze surgissements impressionnants.


En une telle stratégie appréhender l’écriture revient à  explorer la signification d'un certain nombre de mots-clés, tels qu’imagination et structuration dynamique. C’est aussi prendre en compte l’idée que la poésie n'est pas une façon de dire autrement, mais un moyen d’approcher quelque chose qui n'existait pas auparavant. En cette perspective l’écriture est fascinante. « A la surface » devient la manifestation et la réalisation de possibles, du devenir (lié à l’enfance). S’y produisent les échanges entre les pressions venant de l'extérieur et les pulsions profondes. L’écriture en ses douze voix est l’acte textuel au croisement des résolutions d’hypothèses. Cet acte révèle non pas une essence mais un devenir au sein d'un système qui n'a plus besoin comme pré-texte la réalité. L’écriture devient le médium moins du retour que de l’avancée.


Les deux livres permettent donc lecture, présentation et vision originales. L'Imaginaire devient la faculté  à fabriquer de la réalité à venir. Elle se confond avec la dynamique de l'écriture. Celle-ci est la réponse cherchée aux angoisses de l'homme devant la temporalité. Face au chronologique et à la dégradation qu'il opère, le texte par sa conception même ouvre le temps (et sa simple force vectorielle) par effets d’échos. Mais ils n’ont rien ici d’une simple répétition en extinction. Bien au contraire. L’écriture invente des schèmes d'ascension, de verticalité et de division. Ils "utilisent" le temps afin de s'y opposer. Echappant au pur logos l’écriture réalise donc le passage de l'actuel au virtuel, du réel au possible.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

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