Le Festin du diable, de Sylvoisal : des agapes capiteuses

Qui donc prophétisait la mort de la poésie ? J’entends la poésie classique, celle qui respecte les formes et les cadences, la métrique régulière et les règles de la prosodie. On la pensait morte, écrasée sous le poids de la postmodernité. Erreur. Elle survit bel et bien, en notre époque prosaïque. Encore faut-il se donner la peine d’aller à sa recherche. Car les grandes maisons d’édition professant envers elle un profond dédain pour la simple raison qu’elle a cessé d’être rentable, il convient d’aller la dénicher dans les catalogues des vrais amateurs. Des éditeurs passionnés qui n’ont pas pour mobile l’appât du gain, mais le goût du beau. Et le souci de faire partager leurs découvertes. Dieu merci, il en existe encore quelques-uns.

 

Ainsi de Jean-Renaud Dagon et Joanne Bantick, à l’enseigne du Cadratin, sis à Vevey, en Suisse. Un atelier artisanal de typographie, de création et d’expérimentation qui vient de fêter ses vingt-cinq ans et perpétue la tradition des beaux livres. Choix des papiers et des caractères d’imprimerie, composition manuelle, presses anciennes, petits tirages, tout ce qui fait l’attrait et la noblesse de la bibliophilie est ici réuni pour satisfaire les happy few.

 

Dans leur catalogue, un poète authentique, Sylvoisal. On lui doit, associé à son ami et complice Chaunes, des recueils de poèmes qui ne se rattachent à aucune école connue, comme ces sonnets croisés intitulés La Furie française (L’Âge d’Homme, 2004), ou encore Le Verbiaire (même éditeur, 1985). Sans préjudice d’ouvrages tout aussi non-conformistes, au titre éloquent, comme Les Sublimes Qualités de Corps, de Cœur, d’Âme et d’Esprit de Chaunes et de Sylvoisal (même éditeur, 1969), échange dialogué où l’humour des deux compères se donne libre cours. Ainsi que leur maîtrise d’une langue à la richesse impressionnante.

 

En solo, Sylvoisal n’en est pas à son coup d’essai. On lui doit notamment Le Chant du malappris (L’Âge d’Homme, 2011), dont le titre est une référence explicite à Lautréamont, deux ans après la publication, chez le même éditeur, des tombeaux et comptines réunis dans le recueil Les Os de l’insomnie. Il nous donne aujourd’hui, au Cadratin, Le Festin du Diable. Un ouvrage composé de distiques en alexandrins et dont les trois parties de longueur inégale, « La Terre », « L’Enfer » et « Le Ciel » (beaucoup d’appelés, peu d’élus), témoignent que le poète a posé ses pas dans ceux de l’auteur de La Divine Comédie – tout au moins pour ce qui concerne la distribution de ses vers. Car son inspiration ne doit que peu, en vérité, à la Muse de son illustre prédécesseur, même s’il est loisible de lire ce recueil comme « un remake en miniature ».

 

« La femme, assurent les pères de l’Eglise, est le festin du diable. » Cette métaphore fournit à Sylvoisal son titre. Quant à l’existence du Malin, elle ne fait pour lui aucun doute : « Le diable est immortel, les damnés aussi. L’ange qui fit tomber Adam et sa famille est toujours aux manettes ». Il s’agit donc d’inspirer aux pauvres pécheurs que nous sommes une crainte salutaire. De les inciter à veiller et à prier, car nul ne connaît ni le jour, ni l’heure. D’où ce théâtre aux multiples personnages. Ce catalogue de situations et de tentations où les descendantes d’Eve jouent un rôle prépondérant et qui se veulent édifiantes. Comme le sont les paraboles évangéliques.

 

A un tel inventaire que viennent cautionner, au fil des siècles, écrivains et artistes dont les œuvres sont citées ou commentées à titre d’exemples, l’auteur assigne donc une mission pédagogique qu’il définit dans son avant-propos :  « En parcourant cette cathédrale en vers le lecteur apprendra de manière imagée et coloriée, et donc moins absconse que dans un manuel de théologie, tout ce qu’il doit savoir pour mériter le ciel avant sa mort et éviter l’enfer. Toute autre connaissance est superflue. »

 

Sans doute convient- il, à ce stade de l’exposé, de rassurer ceux qui l’ont suivi jusqu’ici. Qu’ils n’aillent surtout pas imaginer que ce livre est constitué d’une énumération austère. Il faut le lire au second degré, sans se laisser impressionner ni abuser par la déclaration d’intention liminaire. Il est souvent hilarant et capiteux. Il fourmille d’allusions cocasses. Le poète prend, à l’évocation de scènes scabreuses, une délectation manifeste. C’est, protestera-t-il, que le réalisme est plus édifiant. Faisons-lui confiance et manifestons la répulsion qu’il prétend nous inspirer lorsqu’il dépeint « Une fille de ferme allongée nue sur l’herbe / A la forte encolure, à la croupe superbe ». Même s’il invoque, comme pour se dédouaner, la caution de Proust, qui n’en peut mais.


Jacques Aboucaya

 

Sylvoisal, Le Festin du diable, Le Cadratin, novembre 2013, 128 p., 40 SFR

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