"Battement" de Jean-Pierre Faye : Le roman de la distance

 

Dans Battement comme dans les premiers romans de Faye la présence entre les personnages n’est qu’à distance en dépit de leur proximité. Cette distance est irréductible, absolue au sein d’une réalité politique éclatée. En des intervalles idéologiques qui ne peuvent se combler elle devient un chaos qui ne cesse de s’agrandir sous aujourd’hui le sceau paradoxal de la mondialisation et hier par l’écriture de l’auteur. Dans ce roman prémonitoire des forces jouent, des portes claquent. Un tissage d’évènements  traverse un monde de crise et une narration où les piégeurs sont piégés.

 

L’histoire se casse en divers réseaux aussi narratifs que politiques au sein d’une géopolitique ébouriffée et d’une écriture qui la traverse avec intelligence. Jean-Pierre Faye se fait créateur destructeur. IL souligne la brutalité du monde à laquelle il apporte sa pierre sans en amortir le choc dans une écriture impétueuse (mais  juste ce qu’il faut) et qui résiste aux assauts destructeurs qu’elle nourrit. Parfois de simples pages de description (celui de l’odeur du savon par exemple, p.36 - ou des rideaux rouges un peu plus loin) permettent à la fois de tempérer de sa coupure le récit pour mieux le relancer.

 

Il y a là tout un rapport complexe de l’idéologie à la culture en une collection de récits, de « battements » avec leurs zones névralgiques. Elle représente de manière astucieuse et toujours en dépit des décors sous ce qu’on nommera une « belle » apparence. Des femmes chantent devant des trams, les trottoirs luisent de verglas plus loin se croise un docteur bulgaro-croate avec ses « poules de toute espèce » avant que reprenne ça et là, par à coups le dialectique du dialogue.

 

Elle donne au livre une impression étrange : parfois le lecteur se dit qu’il s’est trompé de livre tant la narration échappe à ce qui faisait et hélas se fait encore le tout venant romanesque. Dès les années 60 Faye en offrit l’antidote. Elle ne sera hélas guère suivie d’effets. Preuve que le romancier n’est pas un auteur comme les autres. Etant à part il dut rester trop longtemps à l’écart avant que les Editions Notes de Nuit le tire de la sienne. Il faut lire absolument ce roman de la présence et de l’inconnu. Distante, dispersée mais prégnante l’écriture rend le second présent et  la première toujours inconnue.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Jean-Pierre Faye, Battement, Editions Notes de Nuit, 256  pages, 21 E..

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