Bruno Krebs entre kiosques et manèges
Pressé par le temps Bruno Krebs ose des diagonales
poétiques du fou. Il n’attend pas que l’écriture s’engendre au seuil de
l’absence. Chaque mot s’engage, se parodie (au besoin) pour trouver là un sens
même dans des voies qui n’en ont guère sur une île mystérieuse dont les Pénélopes
sont exclues au profit de Gorgones girondes ou maigrichonnes. La poésie
ressemble soudain à une main égarée dans la songerie. La vie est faite ici
d’amours et de crimes, de fuites et en conséquence d’infernales poursuites. Cela
sent la Bretagne tellurique à plein nez même si le pittoresque des paysages fait
qu’il faut aller plus haut encore. Il est vrai que, dit le poète, "je
n'imaginais pas le Nord si loin"...
Sait-il qu’il l’a perdu ? Et pour notre pur
plaisir. Son poème devient une histoire de regard ou plutôt de vision. Il
représente l’ « il » d’un aréopage de plusieurs Lilith. L’écriture
tremble de tous les possibles dans la cadence de ses rythmes. Il y a des
grondements par les ricochets du grand Tout (donc du grand Rien), des
gémissements, des déchirures de l’âme, des « caramba » hugoliens, une
houle de grande marée motrice et bien sur duel entre la nuit et le jour. Des
ombres étirent leurs nageoires jusqu'à déployer ailes et rémiges pour apprendre
le vent, des pierres s'assemblent, l'unité écartelée cherche forme. Mais c’est en
perte et déshérence. Les deux donnent à ce texte « blanc » sa couleur
de souffre et de varech même s’il est baigné par des parfums plus voluptueux.
« L’ile Blanche » reste à ce titre une île vagabonde, c'est une curieuse gourmandise. Le poète intrépide en quitte ses bords familiers pour aller explorer des grottes moins marines. Ici commence et se termine la dérive : le poète est retenu prisonnier par une de ses extrémités, seule sa pointe fine reste mobile. Mais se libérant il peut être fugueur ; il s'égare encore vers des goulets clandestins, s'enlaçant à des déferlantes, des serpentines et des tentatrices. : "La brise gonfle mon pantalon je marche en suspension" écrit le poète. Mais cette brise a - si l’on peut dire - bon dos.
Jean-Paul Gavard-Perret
Bruno Krebs, L’île Blanche, Images de Monique Tello, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 208 pages, 20 Euros, 2015.
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