Le jeu du roi (Jean Raspail)

La mort du vieux notaire un peu fou conduit l'instituteur du village breton de Saint-Just-en-Ponant à revenir sur l'histoire de leur amitié.
 
C'est aussi l'histoire d'un rêve partagé pendant plus de vingt ans, celui d'un royaume perdu du côté de la Terre de Feu : la Patagonie, terre sauvage et désolée, abandonnée aux vents et à la désolation. Ce rêve est un jeu, à la limite de la folie pour ces adultes, ces hommes sans âmes que notre époque a fait grandir ; un jeu où le mensonge est un acte de bravoure désespéré tant qu'il justifie la grandeur de ce royaume intérieur.

Jeu de dupe ? Bien sûr, la frontière entre le mensonge et le conte est ténue. Mais l'envie d'y croire sauve la supercherie  du vieux notaire et la morale est sauve — une morale à la Raspail, où le péché semble permis tant qu'il échappe à la médiocrité et au renoncement de ses valeurs. 

C'est aussi le souvenir d'un amour fou avec Ségolène, une âme pure et sans concession, épousée en partageant les larmes de bonheur, mais dévorée par ce jeu à ce point qu'elle ne peut rester au milieu des hommes de son temps.

Le refus de la modernité est un thème récurrent chez l'auteur. La violence de notre civilisation sur l'humanité est décrite dans une vision hallucinatoire : "Les néons, les derricks illuminés, les torches des usines enflammant le ciel noir, les phares de milliers d'autos, les ponts des minéraliers, pétroliers et navires géants ruisselants de lumière sur Magellan, la Terre de Feu incandescente à la lueur de cent mille foyers électriques, où s'étaient perdus depuis longtemps les maigres feux qu'illuminaient les Indiens Onas et Yaghans, pour se prévenir, épouvantés, de l'arrivée des Blancs, et dominant l'agitation de cette fourmilière phosphorescente, l'immense luminaire mortuaire, au sommet du Cap Horn changeant en jour la nuit, sa nuit..."

Ce jeu du roi se présente comme une forme de combat, un militantisme en faveur du "développement durable" de la mémoire. Alors cette histoire pourrait être pathétique ; cette nostalgie des temps chevaleresques semble absurde. L'auteur, désabusé, bougonne et se place du côté de ces tribus de Patagonie écrasées par le sens de l'histoire et qui préfèrent disparaitre plutôt que de s'adapter. Il y a une sorte de défaitisme dans le texte de Jean Raspail qui peut lasser ou agacer.

Pourtant pourquoi la magie du texte opère-t-elle ? Peut-être parce que Raspail nous parle du jeune enfant que nous avons été.

Il pose la question suivante : en notre fort intérieur, dans les replis de nos entrailles, ce roi bouge-t-il encore ? A-t-il accepté de disparaitre avec l'âge adulte et les rêves consuméristes de notre époque ? Vraiment ? Sommes-nous des gisants au coeur du monde moderne, ou bien des rois et des princesses de royaumes inutiles ?


Alors je pourrais aussi parler de son style et de fulgurances qui émaillent le texte. Le mieux c'est encore de le lire, surtout si, devant une vieille malle et des cartes marines rognées ou tachées, une étincelle s'allume toujours dans votre regard.

La collection Bouquins réédite les romans de voyage de Raspail. Le jeu du roi, en toute logique, débute cet ensemble. 

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