Les simples d'esprit souffrent aussi.


Ce roman, Charlie le simple, est traduit de l'anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas. Nous le dirons d'emblée parce que trop souvent, on omet le nom de la traductrice. Or ici, tout au long du texte, la traduction est de bonne qualité. Il n'a pas dû être aisé de traduire le style dépouillé, cru, agressif (punky ?), de cet animal de Charlie le simple (Ciarán Collins a choisi d'écrire une pseudo-autobiographie). Un exemple parmi tant d'autres : “ Y'a longtemps, quand les Irlandais étaient grave dans la dèche […] ” - ce qui nous rappelle la longue tradition d'auto-dépréciation et de misère de ces foutus Irlandais. De ce foutu Charlie, donc, qui se voit attribuer par les gens de son patelin le surnom de “gamal”, qui veut dire : attardé, débile mental.

Or Charlie n'est pas un débile, il nous l'explique ; il a été traumatisé par la mort de ses amis, Sinéad et James, le couple merveilleux qu'il aimait, admirait, avec qui il faisait de la musique et éclusait des pintes de Kilkenny.

(Ou de O'Hara. Pour nos lectrices qui veulent essayer la bière irlandaise, la vraie, je recommande plutôt la O'Hara. Pour nos jeunes lecteurs également.)

Abreuvé de mauvaise ale et de tristesse, de souvenirs pourris, de lendemains de défaite au foot, le tout enrichi d'un délicat parfum de vomi d'après-boire, notre héros écrit chaque jour, car son psy, un redoutable casse-couilles, lui a recommandé de rédiger exactement “ mille mots par jour ” afin d'échapper aux séquelles du traumatisme lié au décès de James et Sinéad. Il le fait. Il écrit, en nous expliquant qu'il lui faut meubler un peu, remplumer son texte, car parfois il est bien loin des mille mots exigés. Il nous assène donc de beaux paragraphes du genre :

Y'a des gens, ils en ont rien à foutre des autres. ”

Et cependant, malgré tout ce fatras, en dépit des élucubrations lugubres de ce fichu “gamal”, nous le suivons. C'est un véritable preneur de rats, avec sa flûte (allusion cultivée). Il nous contraint à chercher avec lui : qui a poussé James à se séparer de la délicieuse Sinéad ? Le trompait-elle vraiment ? Qui a pu vouloir tant de mal à Sinéad ? Qui a pu être assez odieux pour...? Est-ce que James n'aurait pas dû lui revenir, la... lui...?

Voilà. Nous ne lâchons pas ce roman qui se lit d'une traite, peut-être à cause de la recherche désespérée de Charlie, sa tentative d'expliquer tout ce qui s'est passé et son désir très enfoui, mais alors là, enfoui très très loin, d'échapper quand même au malheur, ainsi que grâce à la poétique de l'aveu qui s'y fait jour.

Nous pensons au Bruit et la fureur du grand Faulkner, nous écoutons en même temps la voix éraillée de Shane Mc Gowan (the Pogues) et son Turkish Song of the damned, nous levons nos verres de whiskey à la gloire de Ciarán Collins. Notez bien que, si tous les huit-dix ans la verte Erin nous envoie des auteurs de ce calibre : en 2008, Peter Behrens avec La Loi des rêves, et maintenant Ciarán Collins avec ce Charlie le simple, nous allons devoir réviser nos antiques préférences géostratégiques en matière de choix de romans...


Ciarán Collins, Charlie le simple, éditions Joëlle Losfeld, 418 pages. 26,50 €.

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