Il est où le bonheur ?


AVERTISSEMENT : Il y a des années que, ici ou ailleurs, je rédige des critiques de livres. Des années aussi que je peste contre les renvois d’ascenseur entre auteurs/critiques, chacun faisant l’éloge, dans la presse nationale, des ouvrages de l’autre. Enfin, il y a également des lustres que je m’amuse des articles élogieux rédigés sous des pseudos de circonstance, qui ne sont en vérité que de l’auto promotion déguisée. Voilà pourquoi, après avoir lu le premier roman de mon propre frère, il était délicat pour moi d’en écrire une critique. Mais celle-ci, à la réflexion, échappait à la réciprocité : jamais en effet celui-ci n’a évoqué dans les médias un seul de mes livres. Pour éviter le procès d’intention, j’aurais pu aussi publier à mon tour cet article sous un pseudonyme, mais n’ayant pas de goût particulier pour le voile intégral, j’ai préféré sortir à visage découvert. Voici donc, à l’occasion de la sortie papier de ce roman, ce que je peux en dire ; le plus objectivement possible.

 

Le Plongeoir

 

Certaines maisons d’édition numérique, comme Amazon et tant d’autres, décident parfois de remonter le cours du temps et de faire passer un de leurs romans de la tablette vers la librairie traditionnelle. Ne nous y trompons pas, la conversion vers le papier est toujours une promotion. C’est le signe que le public s’est laissé séduire par un récit, publié sans tambour ni trompette, mais qui a gagné un lectorat par le bouche à oreille. Voilà ce qui est arrivé au Plongeoir, le premier roman de Gilles Maugenest, compositeur pour le cinéma, la télé, le théâtre, et qui a sauté, le temps d’un livre, de la musique à la littérature.

Ce n’est donc pas un hasard si Le Plongeoir est pensé comme un crescendo. Le lecteur découvre les premières pages presque sotto voce : le narrateur lui confiant ses petits tracas avec la vie, avec les filles, avec ses parents. Rien de très noir pour l’instant. Mais, sans qu’on n'y prenne garde, voici déjà le mezzo forte : Marseille, ses quartiers nord, ses racailles, sa milice. Et le crescendo se poursuivra jusqu’aux dernières pages, bouleversantes, où l’introspection cédera sa place aux questions – très concrètes cette fois ! – de vie et de mort.

Le Plongeoir est un roman clair-obscur. Noir, mais à la fois plein de poésie. Il hésite toujours entre le récit psychologique et le polar pur et dur, où règnent la précarité, le racisme, la soif de vengeance, le meurtre. L’époque elle-même semble brouiller les pistes. L’auteur plonge ses personnages dans un décor composé d’éléments disparates, puisés dans plusieurs décennies. Des portables, déjà, mais encore des lettres que les amoureux s’envoient par la poste, des téléphones publics dans les gares.

C’est dans cette fin de siècle incertaine, à Marseille, que deux destins se croisent : celui d’un jeune Croate, qui a fui la guerre des Balkans avec son père, et celui d’Aristide, un garçon bien comme il faut… trop comme il faut. Tous deux sont en quête du bonheur et espèrent le trouver en échappant à leur destin. Mais tout le poids du déterminisme social, cher à Zola, pèse sur eux. Sans doute alors n’est-il pas si facile de sauter du haut du plongeoir. Les personnages y tutoient le point critique de la dernière décision, au-delà de laquelle nul ne peut plus revenir en arrière…


Le Plongeoir

de Gilles Maugenest

14 euros

NL Editions, pour la version papier

(Numeriklivres)

 

 

 

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