Les oiseaux de malheur, une tragédie californienne

Macdonald l’oublié

 

L’été donne du temps pour lire et relire des livres marquants d’auteurs, qu’avec les années, on avait perdu de vue. C’est le cas de Ross Macdonald, pseudonyme de Kenneth Millar qui a pourtant marqué le roman noir entre 1950 et 1980 avec sa série de romans consacré à Lew Archer. Détective privé apparu avec Cible mouvante, Archer ressemble beaucoup à ses débuts au Philip Marlowe de Raymond Chandler (ce dernier méprisait Macdonald et le considérait comme un de ses nombreux imitateurs). De plus Macdonald à ses débuts reprenait  de Chandler la technique de la narration à la 1ière personne et la comparaison imagée, si présente dans les monologues de Marlowe. En France, Jean-Patrick Manchette l’appréciait peu mais changea d’avis progressivement (cf ses chroniques éditées chez Rivages) : Macdonald fait en effet peu à peu évoluer son personnage d’acteur à celui de témoin, ses intrigues, volontiers répétitives (fait noté par Manchette) deviennent labyrinthiques et empruntent de plus en plus à la psychanalyse.

 

Son œuvre fut longtemps disponible en poche chez 10/18 avant que les éditions Gallmeister entreprennent de retraduire ses romans. Avec raison, déclarons-le tout de suite car Macdonald, pour peu qu’on se donne la peine de le lire précisément, est définitivement beaucoup plus qu’un épigone du grand Raymond…

 

48 heures de plus…

 

Archer est tiré de son lit par un inconnu échappé d’un hôpital psychiatrique, Carl Hallman. Surexcité et au bord de l’hystérie, Hallman lui demande d’enquêter sur la mort de son père, un sénateur de l’Etat de Californie. Archer est troublé par le ton et l’allure du jeune homme, qui dit s’être évadé avec un certain Tom Rica, jeune voyou devenu héroïnomane dont le détective s’est autrefois beaucoup occupé. Archer le convainc de revenir avec lui à l’hôpital mais Carl, très instable, manque de l’étrangler et l’assomme. Archer se réveille au bord de la route, un peu sonné et très interloqué. Il décide d’en savoir plus, se rend à l’hôpital psychiatrique dont Carl s’est échappé et découvre un personnel surpris de son évasion et plutôt de son côté, surtout la belle assistante sociale Rose Parish… Archer rencontre ensuite l’épouse de Carl, Mildred, puis l’accompagne au Ranch des Hallman et découvre une famille inquiète et hostile, qui tend à beaucoup charger Carl, y compris de la mort récente de son père. Archer, amateur de croisade, vient d’en trouver une belle !

 

Un enchaînement de malheurs

 

Difficile de résumer Les oiseaux de malheur car la réussite du roman repose sur un double twist final qui emporte l’adhésion de l’amateur (même lors d’une relecture). Un mot cependant sur la description sociale : chez Macdonald, on découvre une Californie où les policiers sont corrompus et dissimulent des cadavres pour s’assurer du soutien financier de riches donateurs pour se faire élire shérif, des médecins véreux à la recherche d’une fortune rapide et des femmes désireuses d’échapper à une condition de mère au foyer. A la fois fatales et fragiles, elles sont souvent victimes d’une société qui les condamnent à un destin tragique (on devine aisément pourquoi James Ellroy revendique l’influence de Macdonald). Rien de très neuf, que du classique me direz-vous ? Oui, sauf que Ross Macdonald invente ici un système narratif où l’intrigue est une porte vers le passé qui seul peut éclairer les meurtres du présent. De plus, Archer commet des erreurs, trébuche, se fait berner jusqu’à la révélation finale. Comme nous l’avons dit plus haut, son rôle est autant de témoigner, d’écouter, que d’agir et d’enquêter. On est très loin du Mike Hammer de Spillane et beaucoup plus proche des errances existentielles de James Crumley (un autre admirateur déclaré du créateur d’Archer). Le verdict tombe cher lecteur : Les oiseaux de malheur est un petit bijou et garde toujours, plus de cinquante ans après sa publication, son charme tourmenté.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Ross Macdonald, Les oiseaux de malheur, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos, Gallmeister Totem n°56, octobre 2015, 312 pages, 10,50 € 

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