Le goût de la tourbe

                   

Le Verger de marbre, d’Alex Taylor.

 

Beam s’occupe d’un bac. C’est une sorte d'antique ferry servant à passer la Gasping River, en pleine cambrousse du Kentucky. Un crétin essaie de voler à Beam sa maigre recette ; Beam le tue. Malencontreusement, ce crétin est le fils d’un notable du coin, Loat Duncan, qui est par ailleurs un gangster dénué de scrupules et, on l’apprendra plus tard, lié à la famille de Beam par d’inavouables nœuds.

Sur ce canevas somme toute classique, Alex Taylor construit un roman âpre, inquiétant, haletant. Dans ce coin du Kentucky bien connu de lui, les broussailles sont jaunes, la poussière est blafarde, les chiens sont cruels presque autant que les hommes : « Jessup emmène David dans les bois, il le fait boire et le ligote à un vieux poney de trait. J’imagine qu’il voulait aussi se débarrasser du poney. Donc il fait boire David et le ligote à la selle, et puis il attache un chiffon imbibé d’essence à la queue du poney et l’allume, et les voilà partis dans le noir, le cheval qui fait des ruades dans tous les sens en hurlant et le pauvre David qui hurle aussi et la flamme qui devient de plus en plus petite au fur et à mesure qu’ils avancent entre les arbres. »

D’autres personnages ne valent guère mieux : le shérif est un ivrogne qui s’est mis au service de Loat, le puissant. Celui-ci voudrait bien se trouver un rein. C’est normal, n’est-ce pas, quand on a souffert de pyélonéphrite, on aimerait bien prélever un rein en bonne et due forme sur quelqu’un qui a été désagréable… Quelqu’un de la famille, par exemple, afin qu’il y ait de sérieuses chances de compatibilité...

Autant dire que Beam va devoir courir vite. Il lui faudra se cacher dans la nature, tomber sur les traces d’improbables crimes : « Il finit par arriver à une voiture, une antique Buick Skylark bleue étranglée par les ronces, la rouille prenant le pas sur la peinture, le chrome des roues d’un blanc étincelant dans le soleil. Une branche morte de pacanier était tombée sur le coffre et avait écrasé l’arrière, mais les vitres et les pare-brises étaient demeurés intacts. Beam regarda autour de lui, mais il n’y avait pas même la trace d’une route. Aucune voiture n’était censée arriver là. » Tandis que Beam erre dans les arroyos à sec, sa mère se confie au grand méchant Loat et lui révèle deux ou trois choses qu’il aurait préféré ignorer.

On se trouve dans un univers proche de Cormac McCarthy, notamment pour No Country for old men, et peut-être même du Bruit et la fureur de Faulkner. Tout ça n’est pas si mal pour un jeune auteur peu connu en Europe ; il va donc falloir suivre de près cet Alex Taylor. Un type « qui a fabriqué du tabac et des briquets, démantelé des voitures d’occasion » (nous dit le service de presse) ne peut pas être foncièrement mauvais !

Récit de poursuite, de poussière et de sang, Le Verger de marbre est un roman que l’on ne lâche pas. Il se lit d’une traite. Il racle la gorge comme une lampée de whisky et il laisse un goût amer dans la bouche. Mais l'on peut aimer le goût de la tourbe et du malt.

Alex Taylor, Le Verger de marbre, éditions Gallmeister, août 2016. 272 pages. 19,50 €.

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