Les Verticaux aux semelles… devant

Vaincre ou mourir ? Romaric Sangars, en Cicéron des Lettres, appliquerait donc la maxime romaine, vincere aut mori, au monde littéraire puisqu’il y aurait des combats à mener ici aussi. En pure perte (quand on étudie les listes de parutions de septembre depuis dix ans) ? On se souvient de la mémorable gifle qu’il asséna à Jean d’Ormesson pour tenter de réveiller un lectorat poussif (mais vraie ou fausse polémique, puisque le choix de la Pléiade porte sur des livres majeurs ?), et que Sarah Vajda salua tout en sachant aussi prendre position dans l’attente de l’œuvre à venir. C’est amusant de flinguer une icône mais… saurai-je faire mieux ?
Ici se déploie donc l’incipit, premier roman d’une longue série (à quand l’intégrale de l’œuvre sangarsienne – en coffret folio – pour voir qui, d’Aragon ou de Breton, triomphera en lui ?) qui place ainsi l’homme au centre du conflit. Des humeurs et des pulsions, des circonstances et des engagements, des actes et de la bravoure, de ce qui est tolérable et de ce qui ne l’est pas !

Cessons les utopies et contentons-nous de trouver la « manière exaltante d’envisager le tragique de vivre ». Oui, tout est dans la manière de. Dans le détail, si infime fut-il, dans cette sophistication inutile qui distingue une femme d’une fille, quelque soit son âge… Mais, diantre, si je ne m’abuse, qui, aujourd’hui, dans l’univers digital outrancier qui nous submerge perçoit encore le tragique depuis que Camus n’est plus là pour le mettre sous les feux de la rampe ?
Ma lecture se démultiplie et se voit d’autant plus décalée que le 14 juillet 2016 s’est invité dans le panorama d’une société de plus en plus aux abois. La description de ce microcosme parisien radicalement détaché de la Réalité ne claque plus comme la seconde gifle que Romaric Sangars voudrait bien nous coller. La faute est ailleurs, désormais. L’idée de résistance qui s’imprègne de plus en plus dans le destin de ce journaliste, portraitiste des stars éphémères qui font vendre des torchons en lieu et place de journaux aux fameuses ménagères de moins de cinquante ans, épouse une idée d’absolue que l’acte violent qu’il commettra en étendard de son engagement dans la cause fait sourire. Si désastreux et porteur d’infimes parcelles de vérité dans la déviance intellectuelle qui arrive que sont ces panneaux publicitaires qui avilissent les façades des plus beaux monuments parisiens (Hôtel de la monnaie, Palais de justice, etc.) sous couvert de travaux de rénovations, la plaie s’est tellement ouverte désormais que l’attention s’est détournée vers autre chose de bien plus alarmant…

Et si j’abonde dans l’idée d’élever quatre murs autour de soi pour exclure la sauvagerie naturelle en fondant l’intériorité dans la création de la notion d’extérieur – et ainsi demeurer en soi –, une dimension qui nous permet de mûrir et de s’élever, je n’ose imaginer que faire l’autruche est la seule solution...
Se tenir droit alors ? Seule manière, sans doute, de vaincre le désespoir en narguant la mort, en adoptant une attitude héroïque… mais pour quoi faire ? Ne pas se rendre, soit, mais encore… Croiser une belle inconnue, comme notre héros, dans un bar, la serveuse – au hasard – elle est si belle, si énigmatique qu’il va jusqu’à inventer une histoire d’enquêtes pour l’interroger (nouvelle manière de draguer ?) insidieusement… Et de tomber amoureux lui fait perdre alors toute mesure. « Insidieusement, [il] le savai[t] : [il] ne cherchai[t] plus dans la femme qu’un genre d’autel où se tuer. » Vivre avec la belle Lia Silowsky qui se recharge face à la mer comme mon ange silésien dans la pratique du yoga ? Se donner l’illusion d’un possible espoir, lui dans la croyance d’une histoire, elle dans la lucidité d’un impossible contrat social, marchant vers la folie, portée par les images « nostalgiques des magies mortes »… et finir dans un asile.

Sauver le monde par l’amour ? Mais cela se saurait depuis longtemps si cela fonctionnait : Daesh l’a bien compris, massacrant tout ce qui, de près ou de loin, s’en rapproche. Oui, l’amour, le sexe, sinon quoi d’autre ? Trois jours (& trois nuits) de sexe, de quoi murmurer « des inepties au gouffre ». De quoi braver la mort, aussi. Alors, si « l’âme, c’est l’irréductible », le corps devient le combustible de cet instant brûlant que l’on répètera à l’envie… Mais parviendra-t-on pour autant à oublier le désastre ?
Livre miroir de celui de Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, livre réquisitoire, livre manifeste d’une « déroute calculée », si chère au Chevalier Charrette et d’affirmer – comme Michel Onfray – que finie pour finie, l’aventure se conclura sur un fait d’armes symbolique et haut en panache, et puis on claquera la porte, on prendra la tangente, on traversera la vie avec énergie sans s’économiser…

Avec l’aide bienvenue de l’imparfait du subjonctif, on ne peut pas déserter longtemps l’Histoire, assène Sangars : certes, la guerre civile mondiale suit son cours et l’on assiste, impuissant, à des attentats, ici ou là, aux fréquences de plus en plus rapprochées qui participent à l’enveloppement de la population dans un climat schizophrène. Ambiance fin de race, j’entends siffler entre les dents des réactionnaires qui sabordent les bijoux de famille sur les cendres du monde moderne, comme feus leurs ancêtres de l’aristocratie qui allèrent jusqu’au bout de la débâcle. Jamais de demi-mesure ! Et tant pis si le troupeau se berce d’illusions dans cette époque « hygiéniste et sanglante, puritaine et obscène, absurdement rationnelle et méthodiquement fanatique, […] infantile et dégénérée, maternante et exterminatrice ».

François Xavier

Romaric Sangars, Les Verticaux, Éditions Léo Scheer, août 2016, 228 p. – 17,00 euros

2 commentaires

Isadoro

On cherche (en vain) le livre derrière la péroraison.

Trente ans, c'est trop vieux pour jouer le Rastignac dans Paris post-moderne mais bien trop jeune pour abdiquer aussi Vincent Revel va se redresser en compagnie d'une autre âme solitaire (Emmanuel Starck) et redécouvrir la passion amoureuse auprès d'une jeune femme feu follet, Lia Silowsky. L'auteur a du style, de la branche et est peut-être porteur d'une oeuvre à la hauteur de son ambition : retrouver une verticalité littéraire. Mais avant - ou en même temps - il faut vivre. Comme l'écrit Paulina Dalmayer dans les pages Culture de Causeur, "nous jugerons alors l’œuvre de Romaric Sangars à l’aune de ses aspirations, dans une petite trentaine d’années."