Jean-Paul Dubois, "La Succession"
La malédiction semble s’acharner sur celui qui garde de son enfance, « l’impression d’un barnum pathogène », voit ses proches comme « des volailles sans tête courant dans tous les sens dans une maison trop grande pour elles ».
Avec un grand père, ancien médecin de Staline qui a fui la Russie avec une lamelle du cerveau du dictateur dans ses bagages ; une mère froide et insaisissable mais fusionnelle, voire plus, avec son propre frère ; un père médecin apparemment détaché de tout, qui consultait souvent vêtu d’un seul slip sous la blouse en criant à tout bout de champ : »Stroffinaccio ! » (torchon en italien), le héros a de quoi perdre la raison et craindre le pire du coté héritage génétique.
Entre souvenirs du passé et tentation du bonheur américain, Paul reste un temps en France, repart en Floride le temps de vivre une passion, revient exercer à Toulouse avant d’abandonner la partie en soldant tous ses souvenirs si encombrants.
Avec beaucoup d’élégance teintée d’humour noir, Jean-Paul Dubois livre un roman doux amer où l’homme semble n’être que le prisonnier de son hérédité. Echapper à une ascendance toxique passe-t-il par l’expatriation, la construction d’une nouvelle vie à l’étranger ? Ce serait trop simple et ce Paul (presque tous les héros de Jean-Paul Dubois se nomment Paul) poursuit sa quête existentielle d’un continent à l’autre. Attachant et perdu, Paul Katrakilis aimante le lecteur par ses failles abyssales, son destin que l’on imagine scellé dès la deuxième partie du livre, ses efforts désespérés pour échapper à la malédiction familiale.
Mélancolique et envoûtant, sombre et beau, totalement inclassable, ce roman est l’une des grandes réussites de Jean-Paul Dubois
Brigit Bontour
Jean-Paul Dubois, La Succession, Editions de l’Olivier, 240 pages, 19 euros
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