Christian Désagulier face aux impostures
Christian Désagulier trompe la vue des apparences (tout
en s’appuyant sur elles) afin de
montrer quelque chose à la fois de plus invisible mais de plus familier en
niant tout idéal et en « dé-hiérarchisant » le crucial et
l'anecdotique dans ce qui est un composite. Jaillit une perte de sens pour une
recomposition. Elle évite toute sieste
de la conscience et se bat pour les déclins de l'existence là où le corps écrit
subit de nécessaires désagrégations et désorientations prises « à la
lettre ». Pour preuve « L’Y est un X qui boîte ». L’homme
« de la famille des enrobés » ne fait pas mieux.
Si l'objet du livre est lié au corps humain, l’image de celui-ci n'est plus pensée dans un aspect idéal. Elle se dégage d’une imprégnation culturelle. Quant au texte il n’est en rien similitude, réplication mais inversion, renversement. Il devient un « négatif » (au sens photographique) en un immense brassage sans le moindre devoir de réserve. Preuve que la qualité nécessaire à l'accomplissement, surtout en littérature, est bien cette faculté à tordre les invariants du discours stable, raisonnable par aboutissement d'une relation parasitique entre le matériel contenu et le discours destiné à la contenir. Ces réseaux et rhizomes en hommage à une femme prouvent que « les organes de la parole ne sont pas ceux auxquels on pense ».
Désagulier devient un conteur de l'aube de la langue. Ce rebelle sait que si ses coups de dés disparates n’aboliront pas le hasard, ils le secouent fortement. Commençant par la fin, son livre ne laisse jamais sur notre faim. Tout éclate au milieu de phasmes et fantasmes prêts à se régénérer. L’auteur crée un chemin dans un univers de chaos condensé et hors naturalisme. Le mouvement même du texte invente sa stylisation particulière. Mieux qu’une caméra il capte comme un microscope nos abîmes ordinaires. Là se situe cette puissance d'un Imaginaire fort de donner poids au vide et de développer l’invisible au coeur même du visible torsadé.
Jean-Paul Gavard-Perret
Christian Désagulier, « L’almanach des muses », Editions Terracol, Paris, 200 p., 15 E.
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