Traverser la ville, cauchemar urbain

L’initiateur

 

Né en 1935, Robert Silverberg, qui est venu l’année dernière aux Utopiales de Nantes, est l’un des auteurs encore vivants ayant débuté dans les années 1950, à la fin de l’âge d’or de la science-fiction. Pour autant, Bob le prolifique a commencé à tracer son sillon de manière personnelle à partir du milieu des années 60 en publiant des romans novateurs ancrés dans le genre avec cependant un goût prononcé pour l’exploration de l’espace intérieur du héros (en cela, Silverberg rencontrait la génération des 60’s). Citons parmi ses réussites majeures Les ailes de la nuit, Les profondeurs de la Terre, Les monades urbaines (on reviendra plus loin sur cet opus), Le fils de l’Homme, L’oreille interne (lecteur néophyte, si tu ne dois en lire qu’un, c’est celui-ci) … Du côté des nouvelles, le grand Bob en a publié des excellentes dont certaines furent rassemblés dans des recueils. Traverser la ville fut incluse dans le recueil Trips, publié chez Calmann-Levy dans la collection « Dimensions SF » et repris ensuite chez Presses Pockets avec une couverture énigmatique et ensorcelante de Siudmak. Les éditions « Le passager Clandestin » rééditent aujourd’hui cette histoire, un très bon choix comme on va le voir.

 

Une quête impossible dans un monde sclérosé

 

A Fort Ganfield, secteur isolé de la mégalopole mondiale, Silena Ruiz a dérobé le programme permettant la régulation : police, déchets, voierie, signalisation et robots partent à vau l’eau. Le compagnon de Silena Ruiz (enfin celui du mois), fonctionnaire de Ganfield, doit sous l’injonction de sa hiérarchie partir à sa recherche car la situation est très dangereuse : Ganfield menace de se retrouver plongé dans la barbarie. Comme on a retrouvé des livres séditieux, comme un certain Walden Trois, chez Silena, le narrateur décide (car il n’a pas de nom) de visiter d’autres secteurs susceptibles de l’avoir approvisionné et se retrouve à Conning Town. Y retrouvera-t-il sa femme du mois ? Acceptera-t-elle de lui redonner ce programme ? A quel prix ?

 

Une histoire pas si éloignée de nous

 

Traverser la ville est typique d’un état d’esprit des années 70, marquées par la peur de la surpopulation urbaine (le film Soleil vert de Richard Fleischer illustre très bien cet état d’esprit) et l’aliénation des humains aux machines. On peut y voir aussi un signe de la transformation progressive de l’espace urbain qui, via le phénomène des banlieues, réduit l’espace dévolu au monde rural. Enfin, on y retrouve la trace d’une réflexion de Silverberg sur la transformation des identités de groupe dans un contexte d’urbanisation angoissante, déjà présentes dans Les monades urbaines. Ici l’urbanisation du monde a engendré la reconstitution de petites communautés, loin des métropoles d’autrefois, qui fractionnent l’espace urbain, prélude à des conflits futurs ? Le but de Selina Ruiz n’est rien moins que de mettre à bat une société qui détruit et l’Homme et la planète en revenant à une société plus en phase avec la planète (via une référence au Walden d’Henry David Thoreau). Au final, nous voici avec un texte angoissant, prenant, toujours actuel. Donc recommandé.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Robert Silverberg, Traverser la ville, Gallimard, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Chambon, octobre 2016, 80 pages, 5 €

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