Trésor hopi.

                   

On pourrait maudire les piles de livres qui s’accumulent chez nous, car à force de recevoir des ouvrages que l’on feuillette et qui ne sont ni écrits ni à lire, on en oublie certaines pépites qui peu à peu se sont trouvées dessous la gangue de livres à recycler.

C’est le cas de ce roman, écrit par une quasi-inconnue : Bérengère Cournut, qui a eu le mérite de donner deux ou trois livres aux éditions Attila et à L’Oie de Cravan. Cette fois, l’auteure se plonge dans l’univers des Indiens Hopis, en Arizona ; nous ignorons tout de l’époque, et ne savons presque rien de ces déserts battus par les vents, de ces mesas isolées qui gardent les traces du passage des peuples amérindiens depuis des siècles. Et cette fois-ci, miracle ! Dès la première page, nous plongeons dans un univers nouveau, coloré, chaleureux, en compagnie d’une fillette nommée Tayatitaawa, « Celle-qui-salue-le-Soleil-en-riant ». C’est peu dire que la bougresse a du caractère. Indépendante, curieuse, plus qu’audacieuse et même intrépide, elle va explorer son petit monde, connaître son clan, celui du Papillon, et aussi « le Clan de l’Ours noir », dont on devine qu’un jour elle fera partie. Fascinée par son père, un homme taciturne qui préside à différentes cérémonies, elle observe attentivement tous les membres de son clan et surtout, assiste à tous les rites : « À leur façon de pénétrer dans la kiva, nous pouvions déjà deviner quel genre d’esprits ils étaient. Les Catori arrivaient à pas lourds et lents, à cause des sacs remplis de graines qu’ils portaient sur leurs épaules. Les Oiseaux-Mouches, eux, s’annonçaient par le cliquetis des hochets qui ornaient leurs becs, quand les Ahótes, dits aussi Sans-Repos, frappaient leurs tambours à toute force en poussant d’intarissables gémissements. »

La fillette incarne à son insu un mélange de gravité et de joie, de souci des rituels et d’envie de jouer, qui la rend très attachante. Nous la suivons quand elle espionne son frère, quand elle imite sa mère, et lorsqu’elle comprend que son père est mort. Cette grande absence va par la suite tisser la trame de ce récit : elle va enquêter dans la région, arpentant le désert comme un homme, assistant aux rites étranges auxquels son frère participe – il veut « faire partie du Peuple des Animaux », et sera convaincu de préférer appartenir à la confrérie du Serpent. En courant à la suite de ses oncles et d’autres personnes de ce « Quatrième Monde », elle va comprendre où est passé son père, ce qu’il a fait, ce qu’il fait désormais. Les blessures, les rêves, les maladies vont bientôt marquer sa vie, et chaque fois nous la voyons se redresser, vaillante, bourrée de joie de vivre, rayonnante, prête à explorer le monde à nouveau. Ce personnage que nous suivons pas à pas est pour nous comme une lampée d’eau fraîche, et restera pour toujours une petite Indienne, « née contente ». Le titre est, faut-il le dire, remarquablement bien choisi.

Avec elle, nous courons de village en mesa, mais le reste du monde garde son mystère : « Mon frère s’appelait désormais Mahukisi, comme la cigale mythologique autrefois cachée dans l’abri aux serpents. » Fort bien, mais ces Hopis fréquentent-ils d’autres gens ? Des Américains ? Des Navajos ? Durant longtemps, nous ne serons témoins d’aucun contact, puis après bien des rituels et des rêves, après une longue convalescence, nous voyons la jeune fille rencontrer quelqu’un, qui n’est pas habillé comme les autres gens. Mais, laissons là-dessus planer le mystère…

Rarement la lecture d’un roman, sur un sujet aussi périlleux (que Tony Hillerman, avec ses polars en pays navajo, avait merveilleusement abordé), aura fourni autant de plaisir : l’auteure est généreuse, elle offre un monde immense et, de surcroît, à la fin de l’ouvrage, un cahier de photographies magnifiques dépeignant le monde des Hopis aux alentours de 1900. Le livre est de plus très beau, embelli d’une couverture rempliée, et donne envie d’aller voir les autres publications du Tripode.

Quant à ce roman de Bérengère Cournut, il faut le déguster ou le dévorer : exquise nourriture.


Bérengère Cournut, Née contente à Oraibi, éditions Le Tripode, été 2016. 19,00 €.

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