Le festin de Donna Peppina: une invitation romanesque de Nasser

Plus qu’une invitation à une prometteuse et savante démonstration gastronomique c’est à un festin, au milieu « des gens simples, heureux et souvent pleins de bonheur », que nous invite le livre de Nasser « Le secret de Donna Peppina », dans le village de Bernalda, à une quinzaine de kilomètres de la mer, dans la Lucanie. Nous voici dans « le midi de l’Italie baigné de deux mers, l’Ionienne, au Sud et la Tyrrhénienne, à l’Est ».  L’âme de ce village est la Trattoria d’une cuisinière hors pair, Donna Peppina, dont l’auteur nous fera découvrir, comme promis dans le titre, le secret dans une narration solaire et colorée. C’est ainsi que se construit ici le scénario d’un long-métrage autour d’une intrigue qui use de l'anecdotique pour en faire sa substance tout en convoquant les sens du lecteur-spectateur prêt à gouter aux saveurs (gastronomiques, verbales, gestuelles) présentées sur une scène ou plutôt sur un plateau, pour rester dans le domaine familier du paradis si pittoresque de notre hôte.


Loin du genre talk-show thématique, des gesticulations culinaires ou du reportage sans âme, la démarche du roman, présenté pourtant par son auteur comme « inspiré d’une histoire vraie », veut faire renaître une « mémoire culinaire, aujourd’hui travestie, hybride, métissée, mais encore enfouie au plus profond de nous-mêmes » qu’il est venu chercher auprès de Donna Peppina, vraie vestale de cette mémoire préservée dans la complicité des saveurs marines et terrestres.


Patiemment préparée dans un large préambule où la vie méridionale prend ses aises dans des dialogues bruants et des intrigues dignes de tout village qui se respecte, Bernalda ne voulant en aucun cas en faire exception, la scène maîtresse se passe, comme c’est facile à imaginer, dans le restaurant de Donna Peppina, le soir où un metteur en scène venant de Suisse débarque à l’improviste. Admis malgré l’habitude de la maison de ne plus recevoir après avoir affiché « completto », cet homme élégant veut connaître les particularités des mets qu’elle prépare et plus précisément du fameux plat mer et terre qui fait la renommée de sa cuisine.


Hôtes et invités, à l’exemple d’Ulysse, de Stefania, d’Ornella, et même du metteur-en-scène ou de Donna Peppina elle-même, deviennent de vrais personnages menant, avec une timidité que le prosseco finit par vaincre, des dialogues qui laissent à peine s’entrevoir une mélancolie alimentée par les secrets bien gardés de chacun. Celui de Donna Peppina cache sa souffrance de mère endolorie par la mort tragique dans un accident de son fils et sa solitude d’épouse abandonnée par un mari toujours absent, émigré dans le Nord.


Oserait-on reprocher à ce spectacle son caractère bruyant, venant de l’énergie avec laquelle chacun intervient dans la discussion? En aucun cas ! Nous sommes loin de comprendre les vraies raisons de cette curieuse familiarité avec le vacarme: peu de gens savent qu’ici, comme partout dans le pays de Fellini « le silence est vécu de façon étrange, solennelle. C’est un moment rare, grave, presque religieux. Qui ne dure d’ailleurs jamais longtemps. Car en Italie, comme ailleurs, autour de la Méditerranée, on a peur du silence ».


Une musique tout à fait spéciale est en revanche admise, élément essentiel sans lequel le film perdrait son âme. Pour Donna Peppina, la vraie musique est celle qui l’accompagne tout au long de sa journée depuis le lever du jour et jusqu’à la fermeture de son modeste établissement. Ce sont « les voix du marché aux victuailles, les cris des vendeuses et des vendeurs, le bruit des roues des chariots qui grincent sur les pavés », « les gens qui s’interpellent ou de ceux qui rouspètent », des voix « dopées par les parfums frais des produits que mère nature veut bien nous offrir ». Une fois le travail en cuisine démarré, la musique change de tonalité : « le bruit de l’eau qui boue, le clapotis des fritures, le craquement du pain » et prend des accords nouveaux une fois les plats servis en salle où « les gens s’agitent, remuent les chaises, les couverts, rient, pleurent parfois ».


Ne quittons pas pour autant de vue l’intrigue principale qui s’accroche à la discussion entamée entre le visiteur suisse et la propriétaire des lieux sous les yeux attentifs des clients habituels de cette trattoria. Le visiteur ethnologue converti en anthropologue culinaire veut connaître le secret du plat mer et terre de son hôte. Comme si les choses étaient si simples pour pouvoir être enfermé en une seule case, fut-elle prétendument scientifique, il demande des détails sur les ingrédients et sur les secrets de leur préparation.


La réponse de Donna Peppina est à la mesure de cette curiosité citadine : il n’y a pas de secret au-delà de la générosité de la nature, tout ce qu’elle nous offre doit être juste et à peine transformée afin de conjuguer les parfums et les arômes de chacun des produits. Tout est à la mesure de ses clients qui portent avec eux « des petits chagrins du quotidien ». « Chacun célèbre ce qu’il peut, qui avec des fleurs, qui avec des pleurs » – répond-elle à une assistance conquise par tant de sincérité et d’humanité. Traduisant ces paroles, nous avons ici la définition même du vrai lieu de convivialité rempli d’une âme humainement très marquée et reconnaissable.


Mais alors, quel est le fameux secret de Donna Peppina, cette mamma de la gastronomie locale ? Laissons au lecteur la joie et la surprise de le découvrir. Car il est impossible de le transcrire – nous dit l’auteur – avec les moyens du langage cinématographique ou littéraire. Donna Peppina est une magicienne, son quotidien n’est jamais le même au fil des soirées. Il résonne comme « un hymne à tous les sens » rempli de saveurs et d’odeurs inaccessible au langage commun. Voilà pourquoi on ne peut que se laisser éblouir par cette femme pour qui les clients sont des convives, des proches, devenus souvent ses amis.


C’est ainsi que le rideau se ferme sur ces pages que Nasser a voulu nous faire partager de Rome où il habite sous la forme romanesque d'un voyage dans le sud de l’Italie, dans cette trattoria lucanienne, réplique méridionale de celle de Trattoria Da Maria genevoise et de tant d'autres. 


Quant à nous, qui savons que tant de si belles places existent encore fort heureusement à travers des villages semblables à celui de Bernalda, il nous est agréable de nous imaginer parmi ces invités qui se laisseraient bien cajoler par les saveurs et les bienfaits de tant de générosité et d’hospitalité dont regorgent tant d'endroits en Italie ou ailleurs et qui nous attendent en convives et en amis.

 

Dan Burcea (12 mars 2017)


Nasser, « Le secret de Donna Peppina », 5 sens Editions, Genève, 2017, 172 pages, 12.60 euros.

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2 commentaires

L'indispensable

J’attendais, j’attendais, puis j’ai éclaté de rire jusqu’aux larmes ! Et quand il pleuvait à verse, le ciel qui devenait tout d’un coup tout noir, les flaques d’eau partout, la boue et lui, le pauvre, qui sanglotait... On se croirait dans un film, c’est gé-nial.”

L'Italien

Excellent ! On attend le sequel.
Ulrika