La Tentation du Présent
Dans la floraison d'ouvrages consacrés à mai 68, Patrick F Cavenair nous propose un roman, un des rares, peut-être le seul. Un livre détonnant qui mêle le roman psychologique, le roman historique et la science fiction.
J'ai eu la chance d'accéder à cet ouvrage remarquable qui ne sortira qu'en avril. Ce roman a la chance de bénéficier de la préface de l'un des protagonistes des évènements de mai 68. Franchement cette préface vaut toutes les chroniques !

Préface
"Dans la floraison attendue (et redoutée !) des ouvrages célébrant le cinquantième anniversaire de Mai 68, nul doute que ce roman saura faire entendre sa voix singulière.
Pour paraphraser Pierre Desproges : Célébration, cinquantenaire, mai 68 : cherchez l’intrus !, tant il est vrai que cet épisode singulier résiste à la commémoration autant qu’à la rationalisation. Ce "soulèvement de la vie"qui avait enthousiasmé le gaulliste Maurice Clavel, rêvant de voir le Général prendre les habits de Mao pour animer cette révolution culturelle inouïe, aucune analyse ne parvient à l’épuiser tout à fait : les approches politiques, idéologiques, sociologiques, historiques voire psychanalytiques peuvent bien l’éclairer chacune de son faisceau d’hypothèses, l’animal se dérobe, tel est un feu follet- et laisse subsister une part de son mystère.
C’était peut-être au romancier qu’il revenait de rompre ce sortilège. Car si Patrick F. Cavenair approche au plus près de la vérité de mai 68, c’est qu’il ne prétend pas raconter les événements, encore moins les expliquer. Sans doute l’exactitude des faits est-elle au rendez-vous. Sans doute y a-t-il un savoureux goût du Je me souviens de Georges Pérec dans l’évocation en noir et blanc de la France pompidolienne, de ses Simca 1000 et de ses Palmarès des Chansons… Sans doute la chronologie de ces quelques semaines qui ont bouleversé durablement la France y est-elle scrupuleusement respectée.
Mais l’essentiel est ailleurs : en entremêlant l’entrée dans l’âge adulte du jeune Armand et le déroulement des "événements", ce roman est un véritable roman d’initiation comme l’aimait le romantisme du XVIIIe siècle.
Hanté par les énigmes de sa filiation, le jeune anti-héros emprunte un parcours initiatique qui n’est pas si différent de celui qu’a connu le pays tout entier, se révoltant contre la figure du Père, autrefois héros et protecteur mais n’étant plus capable de sentir les vibrations d’un peuple qu’il avait si magnifiquement incarné.
L’auteur a su éviter le piège principal qui guettait son récit : l’intelligence rétrospective des événements. La force du personnage d’Armand, c’est qu’il est devant l’Histoire en train de se faire comme Fabrice à Waterloo : n’y comprenant pas grand chose, et se retrouvant successivement au cœur de la nuit des Barricades, dans une manifestation d’Occident ou au défilé du grand soulagement gaulliste sur les Champs-Elysées… Agi plutôt qu’acteur, prêt à épouser la première cause venue pourvu qu’elle s’incarne dans un premier émoi d’amour, c’est l’histoire d’une mue : celle d’un jeune homme comme celle d’une nation. Au fond, et ce roman l’éclaire, mai 68 fut "l’adolescence d’une nation".
Cinquante ans avant qu’un jeune Président avoue presque naïvement qu’il voulait être « maître des horloges », mai 68 fut en effet l’explosion poétique de l’urgence du présent. Avec ce qu’elle entraînait d’injustices sur un passé dont elle ne fit heureusement pas « table rase », et de questionnements sur un avenir aussi diversifié et contradictoire que l’étaient déjà les motivations de ses acteurs…
Voilà pourquoi cette date, comme la photographie légendaire de Daniel Cohn-Bendit riant devant un CRS, est à jamais figée dans sa jeunesse.
Et s’il est vrai que le temps de l’utopie est le futur antérieur, alors mai 68 n’aura jamais eu cinquante ans."
Michel Field
Consuelo
Patrick F. Cavenair, La Tentation du présent, Marivole éditions, coll. "Années 60", avril 2018, 448 p.- 20,00 €
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