Marie Sellier, La peau de mon tambour : L'instant fragile où meurt l'enfance.

Pour Zoé, la magie Bonnie n'opère plus. Zoé est à l'âge des premières fois et si elle aime sa grand-mère plus que tout, ce séjour dans la vieille maison rassurante est cette année, bien différend. Tout a changé : son cousin Noé, le compagnon adorable de l'enfance est devenu froid, ironique, au contact de son meilleur copain. Il n'est qu'un traître.

Entre tartes aux mirabelles et premier régime, entre découverte du corps des garçons et premier joint, Zoé se cherche et comprend peu à peu que si dans sa famille dysfonctionnelle, on ne manque pas d'amour, on cherche surtout à cacher des pans entiers d'une histoire trop lourde. Sa grand-mère maternelle est hystérique, dépassée par sa fille perturbée et le souvenir de son fils parfait, Auguste, parti trop tôt. Son autre oncle Ludo est déphasé, son père « toujours en voyage ».

Peu à peu elle devine que sa mère, Elle, dissimule derrière ses cris et son excitation perpétuelle, un déséquilibre qui ne peut se guérir. Elle découvre au détour d'une conversation, que « Elle a remis ça » que pire encore, elle a été internée à vingt ans et que la vie conjugale ne l'a pas apaisée, bien au contraire. Sur ses quatre enfants, un seul a été désiré va-t-elle jusqu'à affirmer devant eux. Bien sûr, ce n'était pas la jeune fille, mais son frère qui devient lui aussi incontrôlable.

Dans cette ambiance apocalyptique, elle se demande quand dans cette parentèle maudite, tout s'est détraqué et surtout si la folie, la méchanceté sont inscrites dans les gênes. Elle observe les comportements erratiques des adultes et trouve heureusement son salut dans la fréquentation de la famille de son amie klara qui fait face aux difficultés de la vie avec autrement plus de logique et de bon sens que la sienne.

Marie Sellier dans ce très beau livre explore les tourments de l'adolescence quand le merveilleux monde d'avant apparaît pour ce qu'il est : petit, étriqué, mesquin ; quand la grand-mère dont on redoutait tant la mort n'est plus qu'une femme âgée, dont la disparition s'inscrit dans l'ordre des choses ; quand les crises de délire de la mère sont enfin nommées.

Dans ce maelstrom de découvertes et de renonciations propre à l'adolescence, l'auteur décrit une jeune fille qui avance sur un fil. Elle est souvent près de tomber, de sombrer dans l'aura toxique de sa famille explosée, mais finit par trouver son équilibre. Au final, elle n'est plus « l'oiseau mazouté » auquel elle a souvent ressemblé. Grâce à l'amitié de Klara, la clairvoyance de sa mère Romy qui détecte son mal-être avec tact et sensibilité, elle prend son envol sans détester les siens mais en les tenant à la juste distance.

Écrit dans une langue pure et belle, très littéraire, la mère est dépeinte comme ombreuse, souterraine, inquiétante ; l'auteur offre un livre rare et puissant sur l'adolescence, l'instant fragile où l'enfance meurt avec ses douces certitudes, sans que la maturité soit au rendez-vous.

Brigit Bontour

Marie Sellier, La peau de mon tambour, Éditions Thierry Magnier, mars 2018, 156 p.,13,90 €

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