The Cellar, de Richard Laymon

Lorsqu'elle apprend la remise en liberté de son ancien époux Roy, Donna et sa petite fille Sandy plient bagage, prennent la voiture et tracent en direction du nord. Autrefois, Roy a violé Sandy. Passée la baie de San Francisco, la jeune femme et son enfant, suite à un accident de radiateur, sont contraintes de faire halte dans la petite ville côtière de Malcasa Point. Là, elles font la connaissance de Jud et de Larry. Jud (son prénom complet est Judgment) est un mercenaire chargé par Larry de tuer la créature qui rôde dans Beast House, une macabre attraction locale, créature à laquelle Larry a été confronté lorsqu'il était enfant et dont le traumatisme résultant ne s'est pas effacé en dépit de l'âge mûr. Pendant ce temps, Roy a retrouvé la piste de son ex-épouse et de sa fille.
Tous ces éléments, apparemment hétéroclites, vont se retrouver et réagir les uns aux autres dans ce qui est le premier roman du Chicagolais Richard Laymon, né en 1947 et mort en 2001.

Peut-être en dehors des clous de la critique, je vois The Cellar comme une métaphore de la désintégration du rêve hippie. Ce roman, paru en 1980, a pour personnage un homme ayant violé sa fille alors que celle-ci avait six ans. Dans l'histoire, elle en a douze donc elle est née en 1968, année où le Flower Power est sur le point de prendre des teintes obscures. 1974 correspond par conséquent à l'année de ce viol incestueux. Il se trouve que, cette même année, Roman Polanski sort un de ses meilleurs films, Chinatown, autre tragédie californienne sur fond d'inceste. C'est en 1969, toujours en Californie, que se déroulent les affaires Tate-La Bianca (Charles Manson) et Altamont (Hell's Angels). Autrement dit, il y a quelque chose de pourri dans le Golden State. There's something rotten in the Golden State. Dans The Cellar, l'espace se réduit comme une peau de chagrin: nous passons de la baie de San Francisco à la petite ville de Malcasa Point, puis, de là, à un terrain marqué par une longue histoire de mort et de démence; sur ce terrain, nous aboutissons à son point le plus inférieur et de contraction maximale: la cave (cellar, donc, en anglais).

Dans le symbolisme traditionnel, l'Occident voit le soleil se coucher. Il s'agit donc de la terre des morts, le lieu où la nuit l'emporte sur le jour. Il faut peut-être alors voir une inversion ironique dans le fait que la Californie, point extrême de l'Occident, ait été surnommée The Golden State, alors qu'elle serait la cave de notre civilisation désormais prête à se faire empailler. (Je dis "désormais" car l'Occident, dans son principe, n'est ni pire ni meilleur que l'Orient. Il est mais, toujours dans la pensée traditionnelle, il subit la dégradation cyclique l'éloignant toujours un peu plus du Principe qui le fonde.) La Californie, sur cette planète, est une des zones où la confusion du psychique et du spirituel est à son maximum. Cela ne date pas des années soixante et du Flower Power dont les ténèbres, donc, se sont brutalement manifestées en 1969. C'est à se demander si, en vertu de ce qu'on appelle la géographie sacrée, il n'en a pas toujours été ainsi. C'est à se demander même si des profondeurs des failles sismiques sillonnant la région ne s'exhalent pas des miasmes particuliers qu'aucun sismographe ne peut détecter. Curieusement, ce qui se trouve sous terre revêt un rôle très important de The Cellar. Dans l'intrigue, l'horreur se manifeste dès le début du vingtième siècle. (Je pense aussi à un autre texte californien, paru en 1937, très différent de The Cellar et auquel je consacrerai peut-être une note de lecture.)

J'ai dit plus haut que j'étais peut-être en dehors des clous de la critique. Dans son essai Anatomie de l'horreur (titre original : Danse Macabre), Stephen King considère que The Cellar n'est pas un bon roman, non à cause des thèmes abordés mais à cause de ses qualités littéraires insuffisantes. (King, ailleurs, voit en Laymon un écrivain original.) La bestialité du roman n'est pas franchement explicitée par l'auteur. Elle n'est même pas franchement complètement décrite. S'agit-il d'une faiblesse d'écriture ? Il est vrai que l'enchaînement des péripéties a quelque chose de mécanique et semble dénué de tout didactisme moral. Certaines possibilités dramatiques, certains rebondissements, paraissent ne pas avoir été retenus alors qu'ils tendaient la main à Laymon, en quelque sorte. Mais cette impression d'inachèvement m'offre la vision d'un monde sans direction supérieure, livré à lui-même, à ses monstres. Un des mâles alpha de l'intrigue, Jud, fait figure de héros invincible. Néanmoins, son obstination du « jugement » le positionne dans un radicalisme à la limite du tératologique.

Trois suites ont été données à ce roman. Je ne sais si, lors de sa parution en 1980, Laymon avait prévu la rédaction d'un cycle. La première suite a vu le jour en 1986. Entre temps, Laymon a écrit d'autres livres, pas tous dans le genre horreur. J'envisage de lire un de ces quatre le deuxième volet consacré à la Bête mais je souhaiterais « m'approprier » dans son ordre chronologique l'œuvre de cet auteur, plus célèbre en Europe qu'aux États-Unis.

Paul Sunderland

Ce roman a paru en français en 1987 sous le titre La cave aux atrocités, au Fleuve Noir (collection Gore ; j'ignore qui en fut le traducteur) puis en 2009 sous le titre La Cave, chez Milady, dans une traduction réalisée par Lorène Lenoir.

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