Coven, d'Edward Lee

Le terme "coven" désigne une assemblée de sorciers/sorcières. Il est apparenté au français "couvent" et trouve sa racine dans le latin "convenio" ("cum", "avec", "venio", "je viens"). La couverture (de l'édition actuelle) de ce roman d'Edward Lee, paru en 1991, ne semble pas indiquer le contraire. L'étudiant Wade St. John est un glandeur sympathique.
Beau gosse, issu d'une famille américaine aisée, il n'en fiche pas une rame à Exham College, université privée spécialisée dans la récupération des étudiants dont les autres institutions de l'enseignement supérieur ne veulent pas.
Le problème de Wade est que son père, excédé par la fainéantise de son rejeton, menace ce dernier de le flanquer à la porte et de fermer le robinet s'il n'obtient pas des résultats satisfaisants (un diplôme). Pour cela, Junior devra retourner à Exham College afin d'y suivre les cours d'été. La mort dans l'âme, il obtempère. Glandeur et servitude.

Mais ce n'est que le début de ses problèmes. Très vite, Wade se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond à l'université. Des femmes vêtues de capes noires, à l'étrange sourire perpétuel, chaussées de lunettes noires (même la nuit) déambulent sur le campus, tandis que des étudiantes disparaissent, que des animaux sont mutilés de façon radicale. Un peu malgré lui, Wade se retrouve impliqué dans une intrigue démentielle. De ce seul point de vue, on peut dire que Coven est un roman de l'accession à la maturité psychologique. C'est même assez drôle, comme commentaire, parce qu'en fait de maturité, on a l'impression que le lecteur de base ne fait que prendre son pied devant la débauche de trash grand-guignolesque servie par l'auteur! Comme si on se plaisait à voir ou revoir tous ces films d'horreur, plus ou moins nanars, des années 70 et 80 (allez, je fais un effort pour aller jusqu'aux années 90). Tout est là pour flatter la fibre adolescente (masculine) en attente du bon mélange de sexe, de violence et d'humour.

Pourtant, nous sommes conviés à aller un peu plus loin. Coven est en réalité un roman de science-fiction, pas de fantastique. Autrement dit, ce qui semble surnaturel s'explique par des lois naturelles peu ou pas comprises. Pas question ici, pour moi, de faire l'apologie du progrès (ou du progressisme): il s'agit davantage de trouver un langage permettant de rendre compte de certaines expériences. Ce qui est montré dans l'intrigue du roman est une réalité nécessitant une traduction adéquate sous peine de rester obscure, sous peine de demeurer à l'état de superstition anxiogène. Mais cette traduction, pour être effectuée, exige à son tour d'accéder librement à des ordres de grandeur, à un changement de paradigme radicaux. (Il n'y a ni sorcières ni vampires.) C'est ce que parviennent à faire Wade (malgré ses défauts) et quelques autres personnages. Ceux qui échouent sont cantonnés dans le domaine de la caricature (sauf, éventuellement, à une exception près); par conséquent, nous ne sommes absolument pas horrifiés de les voir se faire dépecer. Vieux de la vieille de la Deuxième guerre mondiale, flics ruraux psychologiquement épais, bouffis de doughnuts ou de testostérone mal refroidie, étudiantes salaces, loser sartrien, universitaires corrompus, etc, tout le monde y passe joyeusement (et lentement!) au cours de scènes très réussies.

Le changement d'échelle nous amène face à la démesure d'une entité appelée The Supremate. À ce stade, le piège dialectique dans lequel Wade va peut-être tomber est de faire de cette intelligence non-humaine le référent absolu et, par conséquent, une source inépuisable de désespoir allant plus loin que la mort elle-même. Néanmoins, ce n'est pas la conclusion à laquelle il aboutit; en cela réside la supériorité de cet étudiant pourtant plus habitué aux bières pour connaisseurs et à la drague en Corvette. Autrement dit, Wade, sans aucun recours technologique, se hisse à un niveau supérieur à celui du Supremate. Ce dernier, malgré sa puissance énorme et l'organisation démentielle de son projet, le nombre impressionnant de ses laquais, n'est au fond qu'un vulgaire voleur. Ce qui semble d'abord une lecture trash pour geeks sans copines n'est que le versant "extérieur", accessible à tous, de Coven. De tels lecteurs, s'il s'en trouve, se contenteront de lire ce roman à ras de texte et ce sera très bien. Ils auront éventuellement un peu de mal à reconnaître le saut intellectuel qualitatif qu'Edward Lee nous enjoint de faire dans la seconde partie du roman. Là, nous touchons à l'autre face de Coven, nous nous retrouvons en demeure de nous livrer à une appréciation plus intérieure, plus discrète, des enjeux véritables du texte. Il s'agira de comprendre que la toute-puissance supposée d'une intelligence rectrice (ou se voulant telle) du cosmos dans son ensemble n'est qu'une escroquerie. Cela n'est pas sans rappeler les enseignements gnostiques: Dieu comme source unique de tout est supérieur au "Dieu" de la Création qui n'est qu'un démiurge agressif et incompétent, tout juste bon à créer ce monde très problématique dans lequel nous tentons d'être heureux.
Dieu-Source, d'ailleurs, peut s'appeler comme on le veut: sans le dire, c'est ce qu'Edward Lee, écrivain beaucoup plus subtil qu'on pourrait le supposer, laisse entendre dans la scène de l'hôpital où se réveille Nina, une étudiante (l'exception possible à la "malédiction" de la caricature à laquelle je fais allusion plus haut). Puisque Ses voies sont impénétrables et qu'aucun exemple de la drôlerie sauvage de Coven ne vient contredire, en définitive, cette célèbre phrase.

Paul Sunderland

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