La ville aux acacias : le charme de la Mittle Europa

Dans les familles bourgeoises roumaines des années vingt, de la Ville aux acacias, la vie est douce pour les jeunes filles de quinze ans. Les pères leur rapportent des jersey de Bucarest, leur offrent des cours de musique. Sœur Denise de l’école où elles sont inscrites qui ne paraît pas plus âgée que ses élèves est adorable, même si elle a des préférées qui changent parfois.
Pour l’arrivée des premières règles, on emploie la métaphore charmante : Les acacias ont fleuri.
La formule est poétique mais ne cache pas le pincement au cœur éprouvé par la mère d’Adriana qui comprend que sa petite fille est devenue femme.
Très belle, Adriana éprouve un coup de cœur pour Paul, son cousin de passage, mais il repart pour Bucarest où il fait un mariage malheureux, vite soldé par un divorce.
L’adolescente a l’existence des filles gâtées de son âge entre école et leçons de musique, des soirées sages durant lesquelles le piano provoque un profond émoi. Surtout quand apparaît Cello Violin, un ancien fonctionnaire jadis un peu terne, natif de la ville de D. Il est devenu musicien, rencontre le succès. Il connaît le beau monde et a même accès au palais royal. La jeune fille prononce ce patronyme comme elle l’aurait fait avec celui d’Alfred de Musset.
Entre séjours à Bucarest et retours à D, Adriana admire Cello s’enflamme pour un ami d’enfance, Gelou comme on brûle d’amour à son âge, s’inscrit au conservatoire, recule l’idée du mariage. Son éducation sentimentale est à la fois tendre et osée pour l’époque, entre Gelou, Cello et son cousin qu’elle n’a jamais vraiment oublié.
L’auteur, Mihail Sébastian décrit un monde encore heureux où rien ne filtre des horreurs à venir dans cette partie de l’Europe. Les sentiments sont délicats, bien que parfois ambigus, les atermoiements relèvent du jeu amoureux. l’avenir est encore radieux même si Sœur Denise est victime d’un accident que personne ne tient à commenter.
La force et le charme du roman résident dans cette opposition entre l’avenir funeste que connaît le lecteur et la fraîcheur, l’innocence des béguins, des attachements d’Adriana. Il s’inscrit dans cet esprit Mittle Europa si bien si bien écrit par Stefan Zweig avant son exil.
Mihail Sebastian, romancier ami de Ionesco et de Cioran, très influent ne laissa que peu de livres, L’accident et Depuis deux mille ans, ainsi que son Journal. Il mourut en effet à trente quatre ans, écrasé (volontairement ou non) par un camion soviétique, juste après la guerre.
La ville aux acacias, jamais encore publié en France est un pur bonheur de lecture classique, un enchantement encore amplifié par la traduction très littéraire de Florica Courriol.
Brigit Bontour
Mihail Sebastian, La ville aux acacias, traduit du roumain par Florica Courriol, Le Mercure de France, octobre 2020, 224 p.- ; 22 €
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