L'auteur erre parmi des angelots bizarres...

Les autres ne sont pas des gens comme nous part d’une tautologie assez agaçante, mais qui pourrait mériter d’être rappelée : l’étranger reste un étranger. Certes, ceci ne va pas aussi loin que le Je est un autre de Rimbaud, mais c’est un bon début. Un constat, un rappel. Certes, les personnages de J.M. Erre : Anissa, Félix, Pétronille, Barnabé, sont sans doute drôles, surprenants, méchants ou attachants, sensibles ou inquiétants, donc pleins d’humanité (sic) comme le dit si finement – hum ! – la 4ème de couverture, ils sont avant tout des victimes de l’Ange du Bizarre cher à Poe, qui a dû les blesser de son aile incertaine.
L’auteur aussi, d’ailleurs, s’est peut-être pris un vent d’ange quand il était petit, une sorte de pet lumineux qui lui est entré par les narines sans jamais ressortir de ses nasales fosses… Qu’on en juge : Qui a tué l’homme-homard ? en 2019, Le bonheur est au fond du couloir à gauche en 2021… Si l’éditeur avait eu la bonne idée d’insérer sa page « Du même auteur, chez le même éditeur » en début de volume et non pas à la fin, j’aurais peut-être pris le temps d’acheter ses livres précédents… Au lieu de quoi je me trouve d’un seul coup avec cinq livres à chroniquer (Cormac McCarthy, Janine Teisson notamment, excusez du peu !) et je n’ai plus de temps à consacrer aux romans précédents de J.M. Erre…
Prenons le premier personnage venu, en ouvrant le livre à la page 83 (j’ouvre toujours un livre à la page 83 d’abord, c’est un département que j’affectionne) : Anissa s’installe dans le réfectoire réfrigéré à la table du Christ et adresse une prière émue à la déesse qui accompagne ses pas dans son infernal chemin de croix : la sainte Climatisation. Bientôt, le rideau de la cuisine se lève et Abigail fait son entrée en Cène, très simple dans sa tunique Gucci aux teintes blanc Méribel, rehaussée d’un scapulaire terre de Sienne de chez Valentino. Elle s’assoit face à Anissa, le visage illuminé d’une béatitude sublimée d’un gloss Chanel, puis l’invite à parler d’un geste de la main sur laquelle se balance un rosaire Christian Dior.
Je ne sais pas quel effet cela produit sur vos ravissants neurones, mais un gars qui sait terminer un paragraphe en faisant chanter l’alexandrin final ne peut pas être foncièrement mauvais.
Du fait de son style taquin, primesautier, sarcastique, et grâce à ses personnages fantasques, improbables et… handicapés – Parmi tous les pèlerins qui se plaignent de pédaler dans la scoumoune, ceux qui me rencontrent arrêtent très vite de s’apitoyer sur leur sort. Avec ma tétraplégie en fauteuil turbo, mon profil déstructuré et ma voix synthétique, j’offre aux pleurnicheurs la joie de se sentir satisfaits de leur existence. Effet de contraste, ma spécialité. – de tout ce " dépôt d'éclopés " (vieille expression de 14-18) donc, on se prend à adorer les mots, les moignons et les ridicules… Ce qui nous permet de penser que l’on peut découvrir et aimer un très bon écrivain, en dépit de son pseudo à la con.

Bertrand du Chambon

J.M. Erre, Les autres ne sont pas des gens comme nous, Buchet-Chastel, mars 2023, 199 p.-, 19€

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