l'Impératrice et l'enlumineur
Beaucoup de romans se disent historiques mais aucun
jusqu’ici n’avait mérité aussi bien cette appellation d’origine contrôlé de «roman historique». Entre ceux qui partent d’un point d’histoire et autour
duquel l’auteur brode une trame romantico-historique et le livre d’histoire pur
et dur, souvent soporifique, Pierre Guelff réussit l’exploit, et le mot n’est
pas trop fort, de nous livrer un roman passionnant autant sur le fond que sur
la forme.
L’impératrice
L’histoire, avec et sans le grand H, commence en 931 lorsque Berthe de Souabe,
épouse légitime du roi de Haute-Bourgogne, donne naissance à Adélaïde de
Bourgogne. Une mère croyante, attachée à la religion comme à une bouée de
secours et un père ambitieux, froid et dur, attaché à la naissance d’un autre
mâle lui permettant d’affirmer sa lignée. Le sexe faible n’a jamais aussi bien
porté son nom qu’à cette époque. Pourtant Adélaïde de Bourgogne, de la lignée
des Guelfes, va marquer son temps et ses contemporains par son action politique
et religieuse. Elevée selon son rang, elle épouse à 16 ans le roi d’Italie,
Lothaire. Veuve trois ans plus tard, faite prisonnière, elle doit son salut à
Othon Ier, roi des Germains et futur empereur du Saint Empire. Cela paraît un
peu cliché, mais Adélaïde épouse son sauveur. Dans un roman à l’eau de rose, il
aurait pu s’agir d’un happy end. Mais voilà, l’Histoire ne s’encombre
pas de ces considérations. Adélaïde, couronnée impératrice du Saint Empire,
perd son mari et devient régente. Ecartée du pouvoir par son propre fils et sa
belle-fille, elle revient au pouvoir à leur mort en attendant la majorité
d’Otton III, son petit-fils. Enfin, à 68 ans, Adélaïde meurt et va être
canonisée en 1097 par la pape Urbain II.
L’enlumineur
Face à l’histoire officielle, Pierre Guelff développe l’histoire de Ghislain
Pierre de Stavelot, enlumineur et citoyen du petit peuple ardennais. Le lien
entre Adélaïde et Guislain Pierre reste tenu pendant une partie du roman. Nous
suivons leur parcours atypique et personnel en attendant leur convergence. Si
Adélaïde est née parmi les grands de ce monde, Ghislain Pierre est né dans une
famille pauvre, dépendante du monastère environnant. Heureusement pour lui, un
moine le prend sous son aile. L’histoire de Guislain Pierre rejoint enfin celle
d’Adélaïde, telle que le titre le laissait présumer. Guislain Pierre est lui
aussi un Guelfes, un descendant d’une branche oubliée. L’impératrice et
l’enlumineur se reconnaissent lors de leur première rencontre et un lien les
unit qui durera jusqu’à leur mort. Pierre Guelff, l’auteur, pourrait être ou
est un des descendants de Pierre Ghislain et donc un Guelfes. La boucle est
bouclée.
Topoi en chaîne
Ce roman est plus hagiographique qu’historique. On retrouve les différents
topoï (1) d’une vie de sainte. Le but de l’hagiographie (2) est de justifier la
sainteté d’un homme ou d’une femme. Au Xe siècle, la sainteté féminine en
Occident s’étend des premières martyres de la chrétienté et au modèle de la
sainte reine, telle Radegonde (3) ou encore Bathilde. Le roman de Pierre Guelff
semble s’être inspiré dans sa structure de ces modèles. Qu’est ce qu’une sainte
reine ? Comment prouver la sainteté d’une femme qui a vécu dans le monde ?
Quelles sont les différentes étapes prouvant et menant à la sainteté ?
La première phase, incontournable de la vie d’un saint est celle de sa
conception et de son enfance. Adélaïde est une enfant désirée par sa mère et
rejetée par son père en raison de son sexe. Elle est finalement le fruit d’une
union arrangée, malheureuse où sa mère doit faire face à la violence d’un mari
infidèle. La sainteté commence par celle de la mère et Berthe de Souabe est un
modèle du genre. Croyante, faisant appel aux saints, elle élève sa fille dans
la voie du seigneur jusqu’à son mariage. La voie de la sainteté est semée
d’embûches. La perte de son mari et son emprisonnement par l’assassin de ce
dernier l’élèvent déjà d’un cran sur l’échelle de la sainteté. Libérée, elle
applique une vertu toute chrétienne, celle du pardon. Les épreuves ne
s’arrêtent pas là. Elle doit encore faire face à la mort de son second mari, au
rejet de son fils, à la haine de sa belle fille. Cette dernière est prête à la
faire assassiner car son influence et sa renommée freinent l’affirmation de sa
propre puissance. Face à ces épreuves, la sainte se révèle assez forte pour
reprendre la régence lors de la minorité de son petit-fils, Otton III. Elle
renonce ainsi à son retrait du monde et a se retirer dans un couvent pour le
bien du peuple. Enfin, usée par ces années de lutte, elle rend les armes pour
s’en remettre à Dieu.
Ce roman retrace les lieux communs d’une vie de sainte et justifie la
canonisation d’Adélaïde de Bourgogne, un siècle après sa mort. L’auteur ponctue
l’histoire d’Adélaïde et de Ghislain Pierre de vies de saints organisant et
influençant la vie des hommes de l’époque. Un autre monde où sainte Rita et
saint Jude(4) étaient fréquemment mis à contribution.
Julie Lecanu
(1) Topoï au pluriel, topos au singulier, désigne les lieux communs utilisés en hagiographie, à savoir dans l’étude des vies de saints. Plusieurs périodes se distinguent en ce qui concernent les vies de saintes : la conception, l’enfance, le refus du mariage, l’acceptation du mariage qui se révèle souvent être une catastrophe, l’enfantement et finalement le retrait du monde. Le développement des vies de saintes doit être mis en relation avec le développement du culte mariale qui redonne une place positive à la femme. Celle n’est plus uniquement la tentatrice, telle Eve, mais également rédemptrice, telle la Vierge Marie.
(2) L’hagiographie correspond aux Vies de saints, visant à justifier la sainteté d’un homme ou d’une femme lors de la canonisation.
(3) Rouche M., « Fortunat et Baudonivie : deux biographies pour une seule sainte » in Favreau R. dir., La Vie de Sainte Radegonde par Fortunat, Poitiers 1995 (Poitiers, Bibliothèque municipale manuscrit 250) et « Vie de Radegonde par la moniale Baudonivie » trad. par Y. Labande –Mailfert in Lettre de Ligugé 239, 1987. Baudonivie est le seul auteur féminin connu d’une vie de Sainte Reine. Son point de vue contre carre celui du moine Fortunat, également auteur d’une Vie de Sainte Radegonde.
(4) Saints des causes désespérées.
Pierre Guelff, L'impératrice et l'enlumineur, Jourdan, septembre 2008, 273 pages, 18,90 euros
Le roman de Pierre Guelff a reçu pour ce roman le prix «arts et lettre de France » de la ville de Rouen en 2008.
1 commentaire
Je viens de découvrir cette superbe critique et je tiens à vous remercier !