"L'Impératrice aux chimères", Isaure de Saint Pierre retrace le destin tragique de Charlotte de Saxe-Cobourg, impératrice du Mexique

L'IMPERATRICE AUX CHIMERESIsaure de Saint Pierre n’en est pas à son premier coup d’essai en ce qui concerne les romans et biographies historiques. D’abord Tseu-hi dans La dernière impératrice, Raspoutine dans Raspoutine, le fol en Christ, Roxelane l’épouse de Soliman dans La magnifique et aujourd’hui Charlotte de Saxe-Cobourg, belle-sœur de Sissi et épouse de l’archiduc Ferdinand-Maximilien d’Autriche, empereur du Mexique au destin tragique.

Un jour, mon prince viendra …

A quinze ans, Charlotte de Saxe-Cobourg est une des plus belles princesses d’Europe. Fille de Léopold Ier, roi des Belges et de Louise-Marie d’Orléans, petite-fille du roi des Français Louis-Philippe Ier, cousine de la reine Victoria, cette princesse peut prétendre à un mariage des plus prestigieux. Les prétendants d’ailleurs ne manquent pas puisque le prince Georges de Saxe et le roi Pierre V de Portugal vont demander sa main tour à tour. C’est finalement l’archiduc Ferdinand- Maximilien d’Autriche qui la séduit par sa stature svelte et élancée et par son intelligence. Prince impérial, archiduc d’Autriche, prince royal de Hongrie et de Bohême, le frère cadet de l’empereur François-Joseph Ier passe pour être une personnalité brillante, séduisant ceux qui l’approchent. Préféré de l’archiduchesse Sophie, certains ont prétendu qu’il était en réalité le fils du duc de Reichstadt, à savoir l’Aiglon. Le prince est donc auréolé d’une aura romantique propre à séduire notre jeune princesse. Cet être qu’elle juge parfait, est pourtant loin de l’être : avide, il n’hésite pas à négocier avec rapacité la dot de sa promise et affiche une très haute opinion de lui-même. La princesse épouse cependant son prince qui n’est pas si charmant que cela, le 27 juillet 1857.

De Bruxelles à la Lombardie

Une fois le mariage célébré, le jeune couple se rend à Vienne où elle va rencontrer pour la première fois sa belle famille avant de se rendre à Trieste où Maximilien est nommé vice-roi de la Lombardie-Vénétie. Derrière le titre accordé par l’Empereur se cache une tentative pour éloigner un frère jalousé pour son intelligence. Charlotte et Ferdinand Maximilien s’installent à Milan. Déjà, nous sommes loin du conte de fée : après plusieurs mois de mariage, Charlotte n’est toujours pas enceinte et son époux la délaisse peu à peu. Se rajoute à cela l’hostilité des Italiens face à la domination autrichienne : le couple est sifflé dans les rues de Milan. Une première fois, l’empereur François Joseph rejette son frère : lui reprochant le climat insurrectionnel et la défaite de Solferino, il le renvoie à Venise reprendre le commandement d’une flotte modeste. En réalité, Maximilien a plus tôt réussi la mission qui lui avait été confiée puisqu’il avait pacifié le nord de l’Italie et avait rétabli le commerce et la sécurité. Loin du faste des cours européennes, Charlotte se retrouve recluse au château de Miramar auprès d’un époux qui s’éloigne toujours plus d’elle.

Les raisons de l’expédition mexicaine

Le cœur de ce roman historique reste bien entendu l’expédition malheureuse des époux au Mexique. Le Mexique qui s’étend sur deux millions de kilomètre carré est alors en proie aux rivalités ethniques et politiques. Trois grands groupes ethniques s’y côtoient : les blancs, qui sont les descendants des conquistadors et des colons espagnols, les métis et les amérindiens. Les conflits raciaux sont nombreux : les blancs s’estiment supérieurs et sont jalousés par les métis qui méprisent les Amérindiens. Le traitement de ces derniers est d’ailleurs proche de l’esclavage. A cet antagonisme racial s’ajoute une division politique. A un parti conservateur et clérical soutenu par les grands propriétaires fonciers s’oppose un parti libéral et anticlérical soutenu pour les petits propriétaires et la bourgeoisie qui désire s’emparer des terres du clergé. La succession de 50 gouvernements différents entre 1821 et 1850 montre bien l’instabilité politique qui s’est emparée du pays. La situation économique est également loin d’être florissante : les caisses du pays ont été vidées par les différents conflits internes et externes du Mexique comme par exemple la guerre contre les USA entre 1846 et 1848. En 1858, l’arrivée au pouvoir du libéral Benito Juarez et la rébellion qui s’en suit, finit de vider les caisses du Mexique qui s’est fortement endetté. Juarez reconnaît alors que le Mexique doit près de 82 millions de Pesos à l’Angleterre, l’Espagne et la France. Dans l’impossibilité de payer, il suspend pour deux ans le paiement de la dette fournissant un prétexte à l’intervention de Napoléon III.

Ce dernier voit dans cette intervention, l’opportunité de mettre fin à l’anarchie qui règne au Mexique et de mettre en place un Etat fort et florissant qui pourrait rembourser ses dettes en devenant le premier pays industrialisé d’Amérique centrale. En pleine révolution industrielle, commerciale et financière, Napoléon III espère trouver au Mexique des débouchés pour ses produits et ses capitaux. Les raisons de Napoléon III sont également politiques : le territoire du Mexique a été amputé de la Californie, de l’Utah, de l’Arizona, du Nevada et du Nouveau-Mexique suite à la défaite de 1847. La création d’un empire fort en Amérique centrale devait faire contrepoids à la jeune puissance américaine. Cette intervention européenne n’est pas sans risque puisqu’elle enfreint la doctrine Monroe énoncée en 1823 : l’Amérique du Nord et du Sud ne sont plus ouvertes à la colonisation européenne et toute intervention dans les affaires du continent américain serait perçue comme une menace pour la sécurité et la paix. Cependant, les Etats-Unis ont d’autres préoccupations car ils sont en pleine guerre de sécession. L’occasion est trop belle et l’expédition est mise en place. Il ne reste qu’à trouver celui qui sera le futur empereur du Mexique. Le choix de Napoléon III s’arrête sur Ferdinand Maximilien d’Autriche. Il reçoit l’autorisation de son frère qui l’oblige cependant à renoncer à tous ses droits dynastiques avant de s’embarquer pour le Mexique.

L’expédition

Le corps expéditionnaire français se met donc en route en 1862 vers la capitale, Mexico. Il rencontre une vive résistance à Puebla où 12000 mexicains repoussent la première offensive des Français. Une second offensive est lancée en 1863 qui aboutit à la reddition de la ville et ouvre la voie vers la capitale. Les premières difficultés se font alors sentir puisque l’assemblée constituante devant mettre en place la monarchie et nommer Maximilien se réduit à une assemblée de notables, privant ainsi le futur souverain d’une légitimité indispensable à la mise en place d’un régime stable. Par ailleurs, Juarez dirige une féroce guérilla contre les troupes impériales. L’expédition française, dirigée par Bazaine prend la tournure d’une guerre coloniale : les villes et les voies de communication sont contrôlées mais ce n’est pas le cas du reste du pays. La pacification est un échec et les actes de cruauté se multiplient, l’opposition à l’empire ne cesse d’augmenter. Dans ce contexte, la tache de l’empereur est complexe : entouré par des généraux français en désaccord, multipliant les maladresses politiques, tiraillé par les différents partis politiques, il se révèle incapable d’instaurer la paix nécessaire à un renouveau économique et ne peut rembourser la dette mexicaine.

La situation de Charlotte n’est guère enviable. Habituée au luxe et l’étiquette, elle peine à avoir le train de vie auquel elle était habituée. Rêvant d’instaurer un empire fort, de faire progresser le Mexique, elle déchante rapidement. Alors que Maximilien fuit de plus en plus souvent ses responsabilités en partant en expédition ou se retirant à Oribaza, elle assure la régence et tente tant bien que mal de gérer une situation qui ne cesse de se dégrader. Sa vie personnelle est un désastre : son mari la délaisse complètement, fuyant le lit conjugal pour celui de ses maîtresses. Dans ces conditions, elle ne peut lui donner l’héritier qui renforcerait la dynastie : Maximilien lui impose l’humiliation de l’adoption du petit Augustin Iturbide. Pourtant, dès qu’il se trouve éloigné d’elle, il lui écrit des lettres enflammées dont Isaure de Saint Pierre nous livre quelques extraits. Malgré tout cela, elle lui reste d’une fidélité exemplaire.

Parallèlement, l’opposition à l’expédition mexicaine grandit en France : les dettes ne sont pas remboursées et l’expédition coûte de plus en plus chère aux contribuables. Le député républicain Jules Favre évoque rapidement le rôle trouble du banquier Jecker : détenteur de créances mexicaines très contestables, il est lié financièrement au duc de Morny, président du corps législatifs et demi-frère de l’empereur. Thiers lui-même prononce deux discours remettant en cause l’intervention française. L’opinion publique commence à s’agiter et s’impatiente devant un conflit qu’elle comprend mal et qui s’éternise.

Il est donc temps d’arrêter les frais : la guerre coûte trop chère et l’insurrection s’étend. La décision de retirer les troupes est décidée dans le courant de l’année 1866. La situation est délicate pour Napoléon III qui se voit forcer d’abandonner Maximilien qu’il a porté à l’empire. Des extraits de la correspondance entretenue par les deux empereurs montrent bien la situation dramatique. La seule solution est l’abdication. Maximilien, toujours soutenue par Charlotte, s’oppose à cette solution. Charlotte décide de tenter le tout pour le tout et se rend en France pour supplier Napoléon III de revenir sur sa décision. Elle quitte son mari qu’elle ne reverra pas. Le 11 mars 1867, l’évacuation est terminée. Maximilien ne peut résister seul : cerné et vaincu, il est fait prisonnier et doit abdiquer. Jugé, il est condamné à mort le 13 juin et exécuté six jours plus tard. La scène a été immortalisée par Edouard Manet dans l’Exécution de Maximilien.

L’impératrice aux chimères

La réception de Charlotte en France est une nouvelle humiliation : elle n’est pas reçue aux Tuileries mais doit loger à l’hôtel. Lors de l’entrevue qui lui est accordée, elle supplie l’empereur de ne pas abandonner le Mexique mais rien n’y fait. La pression sur Napoléon est trop grande : les Prussiens ont écrasé les Autrichiens à Sadowa et les Américains exigent le retrait des troupes françaises. Ce refus marque le début de la folie de l’impératrice qui sombre dans la paranoïa. Elle décide de partir plaider sa cause auprès du Saint-Père : à Rome, ses crises augmentent. Elle pense être victime d’un complot de la part de Napoléon III, des cardinaux. Son frère Philippe arrive à Rome et la ramène au château de Miramar pour la faire soigner. A 25 ans, Charlotte a perdu définitivement la raison, éprouvée par l’expérience mexicaine et sa situation personnelle catastrophique. Certains ont pensé qu’elle était enceinte lors de son départ du Mexique. Le père aurait été le colonel Van der Smissen. Le fait qu’on l’oblige à accoucher clandestinement n’aurait fait qu’accentuer sa folie. Cependant aucune preuve formelle n’a été apportée à cette théorie.

Charlotte va vivre enfermée dans sa folie 60 ans encore. D’abord enfermée et maltraitée au château de Miramar, elle est ramenée par sa belle-sœur en Belgique. Nous n’avons découvert que récemment des informations sur cette période de sa vie : en 1999, un chercheur a découvert un paquet de lettres de la main de Charlotte qui écrivait une à vingt lettres par jour. Elles permettent de suivre le développement de sa folie et les moyens utilisés pour la soigner. Selon ces lettres, Charlotte serait morte non en même temps que son époux mais à la chute de l’Empire qui marquait la fin de tous ses espoirs. Résidant au château de Tervueren, puis au château de Bouchout, elle meurt à 87 ans en 1927 alors que les empires européens se sont effondrés.

Le récit d’Isaure de Saint Pierre nous permet de découvrir un pan mal connu de l’histoire des Habsbourg, celle de l’autre princesse, Charlotte, au destin aussi tragique que sa belle-sœur, la célèbre Sissi. Construit autour de la correspondance de Charlotte et Maximilien, de Napoléon III, elle livre un portrait émouvant de la princesse. Les enjeux géopolitiques et économiques de l’expédition, la situation mexicaine et les relations internationales y sont abordées avec justesse. S’il s’agit bien d’un roman, Isaure de Saint Pierre s’est assez documentée pour livrer un récit juste de ce passage de l’Histoire.


Julie Lecanu
 

 

Isaure de Saint Pierre, L'Impératrice aux chimères, Albin Michel, mars 2009, 296 pages, 19 €

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