Sara Poole : Francesca, empoisonneuse à la cour des Borgia

FRANCESCA, EMPOISONNEUSE A LA COUR DES BORGIALes Borgia sont un thème à la mode comme nous avons pu le constater avec la série de Tom Fontana diffusée récemment sur Canal +. L’accession au pouvoir de Rodrigo Borgia et de son clan excite l’imagination depuis des années : il suffit pour cela de constater l’image sulfureuse, quoique fausse en grande partie, associée à deux de ses enfants, César et Lucrèce. Sara Poole tient donc ici un sujet propre à attirer le lecteur. Elle aborde cette famille par l’intermédiaire d’un personnage fictif, Francesca Giordano, fille de son empoisonneur et empoisonneuse elle-même.

Le pape est mort, vive le pape

Rome 1492. Alors que les Juifs sont expulsés d’Espagne par les Rois catholiques, le pape Innocent VIII se meure. Cette nouvelle attise les convoitises des cardinaux qui déploient leurs stratégies avant l’heure pour se faire élire lors du conclave. Parmi eux, l’un des plus redoutables politiques de l’époque, le cardinal Rodrigo Borgia prêt à tout pour accéder au siège de saint Pierre. Pour y arriver, il peut compter sur Francesca Giordano, fille de l’empoisonneur attitré de la famille, qui prend la relève de son père après l’assassinat de ce dernier. Décidée à le venger et à servir les Borgia, Francesca va découvrir un complot où l’expulsion des Juifs d’Espagne n’est qu’un prélude à un projet de plus grande ampleur visant à éradiquer la communauté juive d’Europe. Un projet que le pape à la santé déclinante, est en passe d’autoriser. Elle découvre également que le meurtre de son père y est étroitement lié. Pour venger son père, servir son maître et sauver la communauté juive, Francesca va devoir faire un choix qui va mettre son âme en danger.

Traiter un sujet comme les Borgia n’est pas chose facile. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur le sujet et les a priori sont nombreux en ce qui les concerne. Lucrèce est ainsi souvent perçue comme une mangeuse d’hommes, usant de ses charmes pour le compte de son clan. La relation incestueuse qu’elle aurait eue avec son frère, César, a fait couler beaucoup d’encre. Rodrigo Borgia, le futur Alexandre VI, est présenté comme un jouisseur plus préoccupé par la politique que par la religion si l’on regarde le nombre de ses enfants illégitimes. C’est cependant vite oublier que son cas était loin d’être une exception parmi les cardinaux de l’époque. D’après un contemporain, Stefano Infessura, son prédécesseur, Innocent VIII eut 7 enfants avec différentes femmes même si les historiens actuels lui prêtent deux enfants illégitimes. Sara Poole dresse d’ailleurs un portrait assez réaliste des cardinaux de l’époque : s’attardant peu sur le vœu de chasteté, ce sont surtout des politiques qui œuvrent pour leur clan mais aussi pour l’indépendance des Etats pontificaux. Elle n’adhère cependant pas à l’image d’Epinal de César et Lucrèce : César est destiné à embrasser la carrière ecclésiastique par son père mais c’est sans compter sur son tempérament guerrier. Il est présenté comme un jeune homme en but aux décisions de son père. Lucrèce est présentée comme une adolescente consciente des intérêts politiques de son père et du rôle qu’il lui destine pour servir ces derniers. Tous deux apparaissent comme subissant les choix politiques de leur père.

L’intérêt de ce roman vient surtout du traitement qui est fait du sort des Juifs dans l’ensemble de la Chrétienté suite au décret d’Alhambra décidant de leur expulsion d’Espagne. Le ghetto accueille les réfugiés et peine à faire face à cet afflux. Pourtant certains ecclésiastiques, dont le fameux Torquemada, voulaient étendre l’édit d’Alhambra au reste de l’Europe via une bulle papale. L’enjeu est de taille donc puisqu’Innocent VIII est mourant en cette année 1492. Il est impossible de savoir si ce dernier fut ou non empoisonné mais sa mort déclencha des tractations et des rivalités jamais vues jusqu’alors durant le conclave. C’est à celui qui proposerait le plus d’argent que reviendrait le Saint Siège. Dans ce cadre, Sara Poole développe l’idée, probable, du financement de la « campagne électorale » de Rodrigo Borgia par les Juifs en échange de sa protection. Le statut des conversos, ces Juifs convertis au Christianisme, est également abordé. Les Juifs eurent en effet le choix entre l’exil et la conversion : beaucoup se convertirent tout en continuant à pratiquer en secret leur religion. Ils furent une cible privilégiée de l’Inquisition menée par Torquemada : les Juifs relapses étaient condamnés au bûcher. Représentés par les personnages de David et Sofia, le sort de la communauté juive était particulièrement précaire à cette époque.

L’empoisonnement était à l’époque une des armes favorites des puissants pour se débarrasser des gêneurs. Aussi fallait-il s’assurer la présence à ses côtés d’un spécialiste. Les talents de Francesca sont ainsi aussi bien utilisés pour assassiner discrètement les ennemis de Borgia que pour protéger ce dernier des attaques de ses ennemis. Vérification des aliments, sceaux posés pour en assurer la comestibilité, antidotes faisaient également partie des fonctions de tout bon empoisonneur. Une charge importante mais aussi très dangereuse en cas d’échec. Francesca en a tout à fait conscience. Nous en venons ici au bémol de ce roman : l’héroïne et ses atermoiements. Empoisonneuse pour venger son père, elle cauchemarde toutes les nuits n’assumant pas ses actes et s’apitoie sur ses relations amoureuses. Elle couche avec César mais aime Rocco, le mystérieux maître verrier. Un aspect « littérature arlequin » qui gâche un peu l’effet du thriller historique.

Cependant, Francesca, empoisonneuse à la cour des Borgia reste un roman agréable à lire dans l’ensemble, malgré une héroïne un tantinet énervante. Un compromis entre un thriller historique et un Arlequin qui peut séduire la ménagère de moins de 50 ans mais qui laissera tout de même les fans de la période sur leur faim. Un second tome devrait paraître car l’assassin court toujours et le mystère de la société secrète d’alchimistes, LUX, n’est pas éclairci. De nombreuses interrogations planent alors que Rodrigo Borgia vient tout juste de prendre le nom d’Alexandre VI. Et l’on sait que l’histoire des Borgia est loin d’être finie…

Julie Lecanu

 

Sara Poole, traduit de l'anglais par Patricia Barbe-Girault,  Francesca, empoisonneuse à la cour des Borgia, MA Editions, novembre 2011, 416 pages, 19,90 euros


 

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