" La dernière bagnarde" - Elle s'appelait Marie Bartête

LA DERNIERE BAGNARDEBernadette Pécassou-Camebrac est journaliste et réalisatrice de télévision. Elle est l’auteur de plusieurs romans dont La Belle chocolatière (2001) ou encore l’Impératrice des roses (2005). Dans La Dernière bagnarde, elle met ses talents de journaliste et de romancière au service de celles que l’on nomme « les reléguées » autrement dit des bagnardes envoyées en Guyane pour épouser des forçats.

En mai 1888, Marie Bartête, âgée de vingt ans, embarque sur la ville de Saint-Nazaire. Elle ne sait pas vraiment où elle va, condamnée au bagne en tant que reléguée mais elle sait qu’elle ne reverra plus la France. Son histoire aurait pu rester à jamais ignorée de tous si elle n’avait pas rencontré Albert Londres en 1923 qui relata son entretien dans son livre intitulé Au bagne. Après un demi-siècle, pourtant relevée de la relégation, elle n’a pu retourner en France, faute d’argent pour payer son voyage de retour. C’est là qu’elle lui a raconté son histoire. Née en 1863 dans les Pyrénées-Atlantiques, abandonnée par sa mère, orpheline à 9 ans, mariée à 15 et veuve à 20, Marie s’est réfugiée à Bordeaux et s’est faite engager dans une riche famille bourgeoise. Mais avant cela, elle a été condamnée pour quelques rapines. Rangée, elle est arrêtée chez elle et envoyée au bagne pour « conduite et moralité détestables ». Là commence un voyage vers l’enfer, en cale sèche dans des conditions inhumaines. L’arrivée au bagne de Saint-Laurent du Maroni finit de tuer les quelques espoirs qui lui restaient. N’étant pas attendues, elles sont enfermées sous la garde de religieuses pour ne pas provoquer de problème avec les bagnards. Démunies, enfermées toute la journée dans les pires conditions, Marie subit le viol, la faim et voit mourir autour d’elle ses codétenues. Leur seule échappatoire est le mariage avec un bagnard. Mais une fois encore, l’espoir s’éteint bien vite. Une vie de misère pour purger la société et coloniser les terres lointaines.

Bernadette Pécassou-Camebrac nous fait ainsi revivre le destin de cette prisonnière du bagne de Saint-Laurent de Maroni et sort de l’oubli le destin de ces reléguées. Ces filles, la plupart de la campagne issues de l’exode rural, étaient pour la plupart illettrées et n’ont laissé que très peu de traces. C’est pourquoi pour en savoir plus sur elles, l’auteur a du réaliser tout un travail de recherches périphériques s’appuyant sur le récit d’Albert Londres mais aussi sur les quelques témoignages de sœurs ou de médecins s’indignant des conditions de détention de ces femmes.

L’histoire des reléguées commence avec la loi de 1854 qui décrète que toute personne condamnée aux travaux forcés sera envoyée en Guyane. Cette loi va être renforcée sous la IIIe république : la loi du 27 mai 1885 dite loi sur la relégation des récidivistes entraîne l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou des possessions françaises. L’objectif de cette loi, dont Marie Bartête sera victime, est de débarrasser la France des petits délinquants et vagabonds par une mécanique unique dans le droit pénal français car elle établit la « présomption irréfragable d’incorrigibilité ». En d’autres termes, les récidivistes sont des cas perdus pour la société des bonnes gens, une société qu’il faut purger. On est bien loin de l’idée de dettes payées à la société. Cette idée pénale résulte également de la volonté politique de peupler les colonies. En effet, pour peupler et exploiter ces dernières, la République envoie ses bagnards et repris de justice à l’autre bout de la planète. A ces hommes, il faut trouver des femmes. Ces femmes sont les reléguées : loin d’être des criminelles, ces dernières ont juste commis le crime d’être pauvres, illettrées et orphelines. Dans ces conditions, peu de personnes se soucieront de leur départ et des quelques témoignages portant sur leurs conditions de vie. A ces femmes, on vend du rêve : ce voyage est le départ pour une nouvelle vie. Là-bas, elles pourront se marier, fonder une famille, cultiver un lopin de terre et beaucoup s’imaginent boire un rafraichissement sur la terrasse de leur maison. La réalité est bien loin de cette image de carte postale.

Avec beaucoup de sensibilité, l’auteur nous livre un récit poignant qui n’est pas l’œuvre d’une historienne mais qui retrace la vie de ces femmes largement oubliées par l’Histoire même si le bagne a été mis en avant par le récit d’Henri Charrière, alias Papillon. Bien sûr, on peut reprocher à Bernadette Pécassou-Camebrac d’accumuler les drames tout au long de ce roman. Pour autant, on lâche difficilement cette histoire et jusqu’à la fin, on espère que Marie sortira de cet enfer sans pour autant se faire d’illusions.


Julie Lecanu

 

Bernadette Pécassou- Camebrac,  La dernière bagnarde, Flammarion, avril 2011, 312 pages, 20 euros

 

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