La Maison Golden de Salman Rushdie ou le miroir aux alouettes

Surtout ne vous arrêtez pas à la couverture : on a connu mieux inspiré et on est habitué depuis des années aux très belles trouvailles d’Actes Sud, alors là, une couverture aussi ringarde pour un écrivain aussi important, on se demande ce qui a trotté dans la tête de l’éditeur… Non, Salman Rushdie ne s’habille pas en Prada !
Mais il n’en demeure pas moins diabolique – tout n’est que détail. Voici certainement l’un de ses tout meilleurs opus, avec Les Versets sataniques et l’extraordinaire Dernier soupir du Maure qui demande, comme toute aventure à multiples entrées, de savoir patience garder pour bien s’imprégner de l’atmosphère, apprendre à connaître les protagonistes, et accepter la construction du récit qui nous vient de l’un des témoins de cette sombre histoire de voisinage.

Ce sera donc René, un jeune homme qui se destine à la mise en scène, et qui, tout en apprenant le métier de vidéaste, construit son premier long métrage en puisant le matériau chez son hallucinant voisin, monsieur Néron Golden, tout droit débarqué de son Inde natale, avec ses fils. Parrain en délicatesse ou multi-milliardaire à la retraite ? Il y a du Gatsby teinté de Mittal chez cet homme que rien ne semble arrêter, allant jusqu’à faire changer les prénoms de tous ses enfants pour les associer aux anciens Césars comme s’il venait à New York pour régner…
Sans doute pas sur la ville, mais tout le moins dans les fameux Jardins de Greenwich Village, résidence haut de gamme qui s’articule autour d’un puit de verdure.

Parvenant à apprivoiser cette drôle de famille, René va vivre à leur côté, et témoignera de leur déchéance tout en construisant son scénario, ce qui nous offre quelques belles trouvailles techniques et stylistiques dont Salman Rushdie a le secret. Pimentant son roman à clés de personnages emblématiques comme le Joker (Trump) ou Catwoman (Clinton) pour nous dépeindre une campagne électorale qui l’a marqué, Rushdie radiographie également la société contemporaine, avec toutes ses dérives, de l’art contemporain à la problématique du genre.
C’est bien le roman d’une époque que l’on a sous les yeux, un audit complet de nos sociétés dites modernes où s’infiltre insidieusement ce mal qui nous ronge sous couvert de nous venir en aide, dans l’élan humaniste qui voudrait que tout se vaut, que l’ordre s’inverse, que la morale soit à sens unique, etc. Des grandes questions géopolitiques au sens caché de la vie, les trois fils stigmatiseront les plaies ouvertes qui nous éloignent toujours plus de la spiritualité : l’aspiration vers un monde virtuel faute d’être capable de supporter le monde réel ; la pratique de l’art à but commercial pour éviter de voir l’existence telle qu’elle est ; la perte d’identité et la question du genre provoquant le geste ultime…

Témoignage romanesque d’une incroyable richesse qui rappelle combien fragile demeure l’équilibre entre désir et possible…

François Xavier

Salman Rushdie, La Maison Golden, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Actes Sud, août 2018, 416 p. – 23 €

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