Beckett et le dernier désastre : Maylis Besserie

Rue Rémy-Dumoncel, à Paris, dans le XIVe arrondissement, se trouve une maison de retraite baptisée Le Tiers-Temps. Au milieu de la cour, un arbre solitaire, écrit Maylis Besserie. Et elle précise : parmi les résidents, un grand échalas, au visage sombre mais aux yeux encore perçants, joue avec ses souvenirs où se mêlent deux langues, l’anglais de son Irlande natale et le français de son exil littéraire.
Il s'agit de Samuel Beckett.

L'auteure aborde la part la plus risquée du non de celui qui désormais en lieu et place de ses échos d'os fait silence et attend la fin. Contrairement à ce qui arrive à ses héros, pour lui, le bord du monde ou de l'ombre possède terme. Et ce roman souligne le silence déchirant et déchiré par cette proximité du départ.

Il n'y a plus d'images, juste un peu de langage, d'un à-peine visible. Il ferme le dedans sur lui-même. Sans fuite. Sans mystique. En continuum de l'époque où le jeune exilé tordait déjà le cou à toute envolée. Ne subsiste que l'être à peine pensant au bord du gouffre et dont l'attente va finir.
La romancière nous permet d'assister à ce dernier désastre, écho d'une scène primitive attachée à la mère et d'un passé universel lié au père, au très haut, ce père qui tout au long de l'œuvre fait retour (ou non retour). Mais ce ne sont plus le père et la mère qui – tels des fantômes, des pantins anonymes et géniteurs obliques de Fin de Partie – jaillissent de leurs poubelles.

Ici Beckett finit par abdiquer.
Et ce, dans l'épuisement de ce qui reste d'identité, d'identifié et une fatigue qu'il soulignait dans ses dernières lettres (publiées en 2018 chez Gallimard). Existent en conséquence un subir, une immobilité proche d'une psychose prostratrice dans un lieu de vie (du moins ce qui en reste) où ne réside plus que ce mouvement du passé vers l'indépassable (Blanchot).
L'aphasie prend place. Fini le temps où comme il faisait dire à son Bonaventura : Il ne régnait plus qu'un immense et effrayant ennui. Hors de moi, je tentai de m'anéantir mais je demeurais et me sentais immortel. La mort n'est plus différée, elle est le vrai désastre au moment où Beckett va venir à bout du temps sans temps subi par ses personnages.

Dans ce roman défilent les épisodes qui ont marqué l'existence de l'auteur de Malone meurt, mais aussi la vie quotidienne au Tiers-Temps dans le dernier silence. L'auteur y attend la mort en regardant la télévision pour laquelle il aura donné des pièces mémorables (Quad, Nacht und Traume, Trio du Fantôme, entre autres).

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Maylis Besserie, Le tiers temps, Gallimard, février 2020, 184 p.-, 18 €
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