Sandrine Willems, départiste...

Tenter de classer le beau livre de Sandrine Willems est une gageure intenable : bien sûr, on peut le prendre d’emblée pour un essai, mais aussi pour un recueil d’aphorismes ; et un roman, comportant de nombreuses données autobiographiques ; enfin, on peut le tenir pour un chant.

Tel celui des oiseaux qu’elle invoque, ce chant s’élève, monte et vise à aller plus haut : c’est le chant d’une mystique, "marquée à vie par Le Sacrifice de Tarkovski, où un homme met le feu à sa maison, puis contemple les flammes". À cette occasion, Sandrine Willems nous rappelle la célèbre réponse de Jean Cocteau qui, à la question : "S’il y avait le feu dans votre maison, qu’emporteriez-vous ?", déclara : "J’emporterais le feu."
Or, emporter le feu, Sandrine Willems l’a fait, après l’incendie de son appartement il y a quelques années, et aussi, cherchant sa Vita nova, après le décès de plusieurs de ses patients dont, psychologue, elle se souciait.

Au début de ce texte, la guérisseuse s’en va, porteuse de regrets et de cendres. Puis, forte et audacieuse, elle s’installe dans une autre ville du sud, passant de "la ville dorée" à "la ville blanche", afin de se sentir neuve.

Elle réfléchit à ces mutations, à ces métamorphoses qu’elle a osé accomplir dans sa vie, à ces départs, et ne dissimule pas ses hésitations, son inlassable questionnement, ni ses réflexions après lecture de certains chercheurs qui l’ont précédée : "Départir, n’est-ce pas discerner, prêter attention à l’infime ?"
Si l’on osait, on irait jusqu’à la qualifier, puisque hélas il existe des arrivistes, de départiste. Sandrine Willems est cette personne en partance, cet écrivain qui s’en va, quitte à aller au bout d’elle-même et à emprunter les chemins les plus dangereux.

Ainsi l’on pourrait être soi, s’être. Ce moi y rencontrant l’infini de ses possibles, des personnages qu’il aurait pu être, et qu’en un sens il est aussi, il devient, selon les mots de Ricoeur, "soi-même comme un autre" : le petit moi se mue en soi polyphonique. » (extrait de son livre précédent, Addictions et reliances). Nous pouvons penser qu’avec son dernier ouvrage, Sandrine Willems parvient à peu à ce chant polyphonique : des milliers de moi se parlent et se répondent.
C’est peu dire qu’il faut lire ce livre lentement, le savourer, et essayer de suivre cette très grande auteure sur les sentiers qu’elle a souhaité prendre : on peut garder son chant sur notre chevet plus d’une année…

Bertrand du Chambon

 

Sandrine Willems, Devenir oiseau. Introduction à la vie gratuite, Les Impressions nouvelles, avril 2018, 206 pp. 17,00 €.

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