Raoul Dufy, le peintre de Paris

Quelques mots s’aimantent à son sujet, les mêmes et pourtant à prendre dans des sens à chaque fois différents. Ils ouvrent sur les sujets qui ont jalonné sa carrière d’artiste, les courses, le Deauville des Années folles, les rivages méditerranéens tendus de lumière, les fleurs, les souvenirs de ces voyages en Italie et au Maroc, unis par son goût de la couleur qui pour lui gardait toujours son caractère, en particulier le bleu.
Chez lui, si se mêlent impressionnisme et fauvisme, cubisme et réalisme, c’est pour s’effacer au profit d’une marque si personnelle que la virtuosité laisse croire, à tort, à de la facilité. C’est là que j’ai surpris le secret de Raoul Dufy. Il ne travaillait pas, il s’amusait. Il chassait les couleurs comme d’autres chassent les papillons, écrivait Roland Dorgelès, en 1953.  

 

Des mots qui parlent du bonheur de vivre, d’évasion vers les enchantements du quotidien, de mode qui conserve l’élégance des femmes, le tout décrit avec cette adresse pour donner mouvement, légèreté, à la fois précision et absence de finition afin que passent sur la toile, librement, le temps et le regard. Il y a comme une musique des tons chez ce peintre qui  dessinait des fenêtres comme s’il dessinait des oiseaux.

 

Paris est un thème que l’on oublie souvent dans l’œuvre de Dufy (1877-1953). Il a pourtant occupé une place loin de là négligeable dans son parcours. Dufy a arpenté la capitale pendant plus de dix, comme un piéton amoureux des lieux que la lenteur permet de mieux appréhender et ensuite traduire en images. Comme on peut le lire et le voir dans cet ouvrage qui accompagne l’importante exposition qui s’ouvre avec près de 200 œuvres très variées, il réalise aussi bien des peintures, des dessins que des céramiques, des tapisseries et du mobilier dont le sujet central est Paris, preuve supplémentaire de l’intérêt de l’artiste pour la ville et de son désir d’en rendre à travers tous les moyens disponibles ses différents visages.
De Montmartre où il a loué en 1911 un atelier, 5 impasse Guelma, qui devient son point d’ancrage, à la Tour Eiffel, intervenant tel un repère, un symbole, un signe répété de son affection, il se fait le témoin de l’effervescence parisienne. La haute structure de la Tour, dont une partie est souvent orangée, domine ces vues à vol d’oiseau qui ont ses faveurs, de loin semblables à des fourmillements et des moutonnements difficiles à identifier, mais à mesure que l’on s’en rapproche, tout au contraire, se révèlent être des ordonnances intelligentes d’édifices aux silhouettes évidentes, ponts, toits, monuments historiques. Une ville devenue un tissu vivant et humain sous les nuages entre lesquels s’arrondit un arc en ciel, brille le soleil ou menace une averse (gouaches sur papier 1937). 
Dufy aime Paris comme un tout qui occupe un vaste espace qui peut se fragmenter en sites plus familiers, comme par exemple l’église Saint-Gervais ou les péniches le long d’un quai de Seine. C’est une immense topographie aussi juste que fantaisiste selon le mot de Saskia Ooms, commissaire avec Didier Schulmann de cette présentation.

 

 

Dans ce même désir de connaissance, Dufy va regarder la société, dans ses modes et ses loisirs, souvent musicaux (Blue Quintet, huile sur toile de 1946, Le Grand Concert, de 1948) et comme Renoir le fait en 1876, il compose en 1939 un joyeux et frémissant Moulin de la Galette (aquarelle et gouache sur papier vélin d’Arches).
Quand il peint un modèle dont il accentue les courbes voluptueuses, il privilégie les jeux de lumière et de couleurs d’une manière identique à ceux qu’il exécute quand il se rend à Saint-Cloud, au Bois de Boulogne ou sur les bords de la Marne, pour observer les canotiers, heureux prétexte pour traiter des effets de l’eau, des arbres, du ciel, dans des gammes infinies et transparentes de bleu  et de vert.
Une des salles concerne l’œuvre la plus extraordinaire du peintre, La Fée Électricité, conçue pour l’Exposition internationale de 1937, installée au Musée d’Art Moderne de Paris en 1964. Elle regroupe les dix lithographies qui documentent le travail accompli pour parvenir à cette fresque gigantesque et unique au monde.   

 

Dominique Vergnon

 

Didier Schulmann et Saskia Ooms (sous la direction de), Le Paris de Dufy, 190 x 265, 102 illustrations, in fine éditions d’Art, 176 p.-, février 2021, 19,95 euros (bilingue français anglais)

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