Fernande Olivier témoigne à Montmartre

Faite de résilience, son existence le prouve, ses liens avec les grands noms de son temps, Apollinaire, Max Jacob, Braque, Derain, Gertrude Stein, Matisse, Modigliani, Marie Laurencin le confirment : Fernande Olivier était intelligente, cultivée, sincère, directe, elle possédait de nombreux talents que son destin ne lui a pas permis d’épanouir.
Sensible, surmontant dès sa naissance puis plus tard durant son mariage les plus dures épreuves, elle devient le modèle favori de nombreux peintres. L’artiste catalan qui s’installe un temps à Montmartre Joaquim Sunyer, ami de Picasso et d’Utrillo, signe d’elle un élégant portrait où dominent les bleus.
De même Marie Laurencin et surtout Van Dongen lui rendent hommage sur une série de tableaux. Elle sera d’ailleurs surnommée La Belle Fernande par les artistes. Elle aurait pu devenir célèbre sans nul doute grâce à son talent d’écrivaine et peut-être de dessinatrice mais au bout du compte, seule jusqu’à la mort, elle accepte pour vivre de faire de petits métiers.

La vraie rencontre de son existence est celle de Picasso. Ils sont nés la même année, 1881. Pendant plus de sept années, elle accompagne celui qui va révolutionner la peinture. Il sera mondialement connu, elle est injustement oubliée. Elle devient le modèle pour ainsi dire exclusif de Picasso, davantage elle vit avec celui dont, durant ces années, un amour véritable et un grand souvenir qui ne peut pas s’éteindre selon les mots de Paul Léautaud le relie.
Assistant en même temps à la naissance du Cubisme, Fernande a en retour une influence bénéfique et manifeste sur Pablo, en particulier au moment même où il entre dans sa période rose.
Présentant un ensemble de soixante-seize œuvres (peintures, sculptures, dessins, lithographies, manuscrits, éditions et correspondances originales, photographies), à la fois chronologique et thématique, l’exposition qui se tient au musée de Montmartre met enfin en lumière la vie d’Amélie Lang qui avait pris pour nom celui de Fernande Olivier. C’est la présence  toute entière révélée d’une femme qui apporte, non seulement sur l’époque du Bateau-Lavoir, cet étrange vaisseau de bois sec, et de la bohème montmartroise, ce mélange de rapins, de fonctionnaires, d’ouvriers, mais aussi sur la condition féminine de son époque et celle des modèles qui posent pour les artistes, un éclairage lucide et avéré. Ses deux livres servent de trame à l’exposition.

Dans un cahier vert, avec son écriture manuscrite portant le titre Picasso et moi, elle écrit : Pourquoi j’écris ce livre, pourquoi je pense à toi ? Ah ! je ne sais ! Pour me parler du passé, des seules années heureuses de ma vie (…) Je sais que certains vont trouver étrange, indiscret, scandaleux d’étaler ma vie intime surtout après la publication de Picasso et ses amis où j’avais volontairement négligé de paraître (…) et puisqu’il est nécessaire de manger pour vivre, il est également nécessaire d’user de tous les moyens qui pourrait permettre un allègement matériel. C’est peut-être cynique mais c’est cependant pourquoi je me suis décidée à publier mes souvenirs intimes.
En 1933, elle fait paraître Picasso et ses amis. Un ouvrage qui est autant un regard incontestable qu’un témoignage véritable, qui fera dire à Picasso, à l’instar d’André Salmon et de Max Jacob, que c’est le tableau le plus authentique de cette époque.

Dominique Vergnon

Nathalie Bondil, Saskia Ooms, Fernande Olivier et Pablo Picasso, dans l’intimité du Bateau-Lavoir, 190x265 mm, 106 illustrations, Musée de Montmartre Jardins Renoir-In Fine éditions d’art, 168 p.-, 29€

www.museedemontmartre.fr; jusqu’au 19 février 2023

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